☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 440-441

en défendant la petite culture et la petite propriété contre
la poussée du capitalisme, ce serait retarder inutilement
l’évolution sociale, duper le paysan en le laisant croire à
la possibilité d’un bien-être en régime capitaliste, diviser
les classes laborieuses en assurant à une minorité une si
tuation privilégiée aux dépens de la majorité. Voilà pour
quoi les social-démocrates combattront toujours des ins
titutions absurdes et nuisibles comme l’inaliénabilité des
lots paysans, la caution solidaire, l’interdiction de quitter
librement la commune paysanne et d’y admettre librement
des individus de n’importe quelle catégorie sociale ! Mais
notre paysan, nous l’avons vu, ne soulire pas seulement
du joug du capital ; il souffre aussi et même davantage de
celui du grand propriétaire foncier et des vestiges du ser
vage. Une lutte implacable contre ces entraves, qui aggra
vent énormément le sort de la paysannerie et la tiennent
pieds et poings liés n’est pas seulement possible ; elle est
nécessaire à toute l’évolution sociale du pays, car la misère
noire, l’ignorance, la sérvitude et l’humiliation du paysan
mettent sur toute la vie de notre patrie un cachet d’asia
tisme. Et la social-démocratie no remplirait pas son de
voir si elle ne prêtait pas à cette lutte tout l’appui possi
ble. Cet appui doit consister, en bref, a faire pénétrer la
lutte de classe au village.

Nous avons vu qu’il existe dans la campagne russe ac
tuelle deux sortes d’oppositions de classe : premièrement,
entre les ouvriers agricoles et les patrons ruraux ; deuxiè
mement, entre la paysannerie dans son ensemble et l’en
semble de la classe des grands propriétaires fonciers. La
première opposition grandit et se développe ; la seconde
s’amoindrit peu à peu. La première est encore tout entière
dans l’avenir ; la seconde appartient déjà, en grande partie,
au passé. Néanmoins, c’est précisément’ la seconde opposi
tion qui a, pour les social-démocrates russes d’aujourd’hui,
la signification la plus essentielle et la plus importante
au point de vue pratique. Il va de soi — c’est un axiome
pour tout social-démocrate — que nous devons utiliser
toutes les occasions qui s’offrent à nous pour développer
la conscience de classe chez les salariés agricoles ; que
nous devons, par conséquent, porter notre attention sur
l’émigration des ouvriers de la ville vers les campagnes

(par exemple, les mécaniciens employés aux batteuses à
vapeur, etc.), sur les marchés où se louent les travailleurs
agricoles.

Mais nos ouvriers agricoles sont encore trop fortement
liés à la paysannerie ; les misères communes à tous les
paysans pèsent encore trop sur eux pour que leur mouvement
puisse jouer, ni aujourd’hui, ni dans un proche avenir, un
rôle à l’échelle nationale. Au contraire, balayer les vestiges
du servage, extirper de toute la vie de l’Etat russe l’es
prit de l’inégalité de caste et l’avilissement de dizaines
' de millions d’hommes du « bas peuple », voilà une question
qui prend dès maintenant une signification nationale et
dont un parti, qui prétend jouer le rôle de champion de la
liberté, ne saurait se désintéresser.

Les malheurs du paysan sont maintenant (sous une forme
plus ou moins générale) reconnus de tous ou peu s’en faut ;
la formule sur les « insuffisances » de la réforme de 1861 et
la nécessité d’une aide de l’Etat est devenue une vérité
courante. Notre devoir est de souligner que ces malheurs
proviennent justement de l’oppression de classe qui pèse
sur la paysannerie ; que le gouvernement est le fidèle
fenseur des classes qui exercent cette oppression, et que ceux
qui veulent sincèrement et sérieusement obtenir une amé
lioration radicale de la condition des paysans doivent, non
pas rechercher son aide, mais s’efforcer de secouer son joug
et de conquérir la liberté politique. On parle du taux ex
cessif des indemnités de rachat, de la mesure bienfaisante
que constitueraient leur réduction et la prolongation de
leur délai de paiement par le gouvernement. Nous répon
drons à cela que toutes ces indemnités de rachat ne sont
pas autre chose qu’une spoliation, dissimulée sous des for
mes légales et des phrases bureaucratiques, des paysans
par les grands propriétaires fonciers et le gouvernement,
un tribut versé aux tenants du servage pour l’affranchisse
ment de leurs esclaves. Nous réclamerons l’abolition immé
diate et totale des indemnités de rachat et redevances,
la restitution au peuple des centaines de millions que le
gouvernement tsariste lui a fait suer pendant des années
pour satisfaire les appétits des propriétaires d’esclaves.

On parle de la pénurie de terre chez les paysans, de la
cessité d’une aide de l’Etat pour accroître l’étendue des