Volume 04 pages 442-443
terres possédées par les paysans. Nous répondrons à cela que
c’est précisément du fait de l’aide de l’Etat — aide ac
cordée aux grands propriétaires fonciers, bien sûr — que
les paysans ont été si souvent dépossédés de la terre qui
leur est indispensable. Nous réclamerons la restitution aux
paysans des parcelles dont ils ont été amputés et qui con
tribuent au maintien des corvées, du travail servile, forcé,
perpétuant en fait les conditions du servage. Nous réclame
rons l’institution de comités paysans pour réparer les injus
tices criantes commises envers les esclaves al franchis par
les comités de la noblesse qu’a institués le pouvoir tsariste.
Nous exigerons l’institution de tribunaux investis du droit
de réduire les fermages excessifs que perçoivent les grands
propriétaires fonciers en exploitant la situation désespérée
des paysans, — tribunaux devant lesquels le paysan au
rait le droit d’attaquer pour usure ceux qui passent des
contrats de servitude en spéculant sur l’extrême indigence
d’autrui. Nous nous efforcerons d’expliquer constamment
et à tout propos aux paysans que ceux qui leur parlent
d’une tutelle ou d’un secours de la part de l’Etat actuel
sont, ou bien des imbéciles, ou bien dos charlatans et leurs
pires ennemis ; que ce qu’il faut avant tout aux paysans,
c’est s’affranchir de l’arbitraire et du joug des fonctionnai
res, c’est faire reconnaître l’égalité totale et absolue do
leurs droits, sous tous les rapports, avec toutes les autres
catégories sociales, leur entière liberté de déplacement
et de changement de domicile, leur liberté de disposer de
la terre, la liberté pour la communauté paysanne de gérer
toutes ses affaires et de disposer de l’ensemble de ses re
venus. Les faits les plus courants tirés de la vie de n’im
porte quel village russe peuvent toujours fournir mille pré
textes au travail d’agitation en laveur des revendications
indiquées. Cette agitation doit s’inspirer des besoins lo
caux, concrets et les plus pressants de la paysannerie ;
mais, loin de s’en tenir là, elle doit élargir sans cesse l’ho
rizon des paysans, développer inlassablement leur cons
cience politique, leur montrer la place particulière qu’oc
cupent dans l’Etat les grands propriétaires fonciers et les
paysans, leur indiquer l’unique moyen d’affranchir la
campagne du joug d’arbitraire et d’oppression qui pèse sur
elle, moyen qui consiste à convoquer les représentants du
peuple et à renverser le pouvoir despotique des fonctionnai
res. Il est absurde et inepte de prétendre que cette revendi
cation de la liberté politique soit inaccessible à la conscien
ce des ouvriers : non seulement les ouvriers, qui ont derriè
re eux des années de lutte ouverte contre les fabricants et la
police et qui voient constamment les meilleurs d’entre eux
frappés par les arrestations arbitraires et la répression,
non seulement ces ouvriers déjà gagnés au socialisme, mais
tous les paysans sensés ayant tant soit peu réfléchi à ce
qu’ils voient autour d’eux,'pourront comprendre pourquoi
luttent les ouvriers et s’assimiler l’idée d’un zemski sobor
qui libérerait le pays tout entier de l’omnipotence des fonc
tionnaires exécrés. Et l’agitation faite sur le terrain des
besoins immédiats et les plus pressants de la paysannerie
n’atteindra son but, qui est de porter la lutte de classe dans
les campagnes, que lorsqu’elle saura, à chaque révélation
de telle ou telle plaie « économique », rattacher des reven
dications politiques déterminées.
Mais la question est de savoir si le Parti ouvrier so
cial démocrate peut inscrire à son programme des revendi
cations pareilles à celles que nous venons d’indiquer,
s’il peut se charger de mener l’agitation au sein de la pay
sannerie, si cela n’aura pas pour résultat de nous disperser
et de détourner nos forces révolutionnaires, déjà si peu nom
breuses, de la direction principale, la seule direction sûre,
du mouvement ?
De telles objections sont fondées sur un malentendu.
Oui, nous devons absolument inscrire à notre programme
des revendications sur l’abolition de toutes les survivances
de l’esclavage dans nos campagnes, revendications sus
ceptibles de déterminer la meilleure partie des paysans,
sinon à engager eux-mêmes une lutte politique indépen
dante, du moins à soutenir consciemment la lutte libéra
trice de la classe ouvrière. Nous commettrions une faute
si nous nous mettions à défendre des mesures susceptibles
d’entraver l’évolution sociale ou de protéger artificiel
lement la petite paysannerie contre l’essor du capitalisme,
le développement de la grande production ; mais ce serait
une faute encore plus désastreuse que de ne pas savoir
profiter du mouvement ouvrier pour diffuser parmi les
paysans les revendications démocratiques laissées insatis-