Volume 04 pages 444-445
faites par la réforme du 19 février 1861, celle-ci ayant été
faussée par les grands propriétaires fonciers et les fonc
tionnaires. Notre Parti se doit de reprendre ces revendica
tions, s’il veut avoir derrière lui tout le peuple dans la
lutte contre l’autocratie *. Mais cela n’implique pas du
tout que nous devions appeler les forces révolutionnaires
actives à quitter les villes pour les campagnes. Il ne saurait
en être question. Il est certain que tous les éléments com
batifs du Parti doivent militer dans les villes et les centres
usiniers, que seul le prolétaria’t industriel est capable de
lutter résolument et en masse contre l’autocratie, que ce
prolétariat est seul capable d’utiliser des moyens de lutte
tels qu’une manifestation publique ou la mise sur pied d’un
journal politique populaire paraissant régulièrement et
largement diffusé. Ce n’est pas pour rappeler de la ville et
envoyer dans les campagnes les social-démocrates convain
cus, ni pour les river au village, que nous devons faire figu
rer dans notre programme les revendications paysannes ;
non, c’est afin de donner un plan d’action aux forces qui
ne peuvent trouver à s’employer ailleurs qu'ix la cam
pagne, afin de faire servir à la cause do la démocratie et de
la lutte politique pour la liberté les liaisons qu’entretiennent
nécessairement avec la campagne bon nombre d’intellec
tuels et d’ouvriers dévoués à la social-domocratie, et qui
s’étendent nécessairement au fur et à mesure que le mou
vement prend lui-même de l’extension. Nous avons depuis
longtemps dépassé le stade où nous n’étions qu’un petit
détachement de volontaires, où tout l’effectif des forces
social-démocrates se réduisait à des cercles de jeunes gens
qui, tous, « allaient aux ouvriers ». Notre mouvement dis
pose aujourd’hui de toute une armée, d’une armée d’ou
vriers accrochés par la lutte pour le socialisme et la liberté,
d’une armée d’intellectuels qui ont pris et prennent part
au mouvement et ont dès maintenant essaimé d’un bout à
l’autre de la Russie, d’une armée de sympathisants qui con
sidèrent avec foi et confiance le mouvement ouvrier et sont
* Nous avons déjà établi un projet do programme social-démo
crate comprenant les revendications susindiquées. Nous espérons,
dès que ce projet aura été examiné et remanié avec le concours du
groupe « Libération du Travail », faire paraître dans un prochain
numéro le projet de programme do uotre Parti.
prêts à lui rendre mille services. Et une grande tâche nous
incombe : organiser toutes ces armées, les organiser de façon
à pouvoir non seulement provoquer des explosions passagè
res, non seulement porter à l’ennemi des coups accidentels,
isolés (et par suite sans danger pour lui), mais livrer à
l’ennemi une guerre continuelle, opiniâtre et soutenue
sur toute la ligne, traquer le gouvernement autocratique
partout où il sème l’oppression et récolte la haine. Mais
est-il possible d’atteindre ce but sans porter parmi les
millions de paysans les germes de la lutte de classe et de la
conscience politique? N’allez pas dire que la chose est
impossible : elle n’est pas seulement possible, elle se fait
déjà par mille chemins qui échappent à notre attention
et à notre action. Elle gagnera infiniment en ampleur et en
rapidité lorsque nous saurons formuler un mot d’ordre im
pulsant une telle action et que nous arborerons le drapeau
de l’affranchissement du paysan russe de tous les vestiges
ignominieux du servage. Les gens de la campagne qui
viennent à la ville observent dès maintenant avec intérêt
et curiosité la lutte, incompréhensible pour eux, que sou
tiennent les ouvriers, et ils en répandent la nouvelle jusque
dans les coins les plus reculés. Nous pouvons et devons
faire en sorte que cette curiosité de spectateurs passifs cède
la place, sinon à une compréhension totale, du moins à la
conscience même confuse du fait que les ouvriers luttent
pour les intérêts du peuple tout entier, et qu’elle cède la
place à une sympathie de plus en plus grande pour leur
lutte. Alors, le jour de la victoire du parti ouvrier révo
lutionnaire sur le gouvernement policier approchera avec
une rapidité qui nous surprendra nous-mêmes.
Rédigé en février 1901
Publié en avril 1901 dans le n’ 3
de r* Iskra »
Conforme au texte de
l’« Iskra »