☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 422-423

toutes sortes d’entreprises commerciales et industrielles
véreuses, les heures passées dans les antichambres des hauts
personnages de la Cour, grands-ducs, ministres, etc., etc.,
pour se faire octroyer des concessions ou des garanties du
gouvernement en faveur de ces entreprises, pour quémander
des aumônes sous la forme de privilèges pour la Banque
de la noblesse, de primes pour les exportations de sucre,
de lopins (de quelques milliers de déciatines !) de terres
bachkires ou autres, de bonnes et grasses « sinécures », etc.

« L’éthique de la noblesse porte la marque de l’histoi
re, de sa condition sociale »... et aussi celle de l’écurie *,
où les nobles apprenaient à brutaliser et injurier le moujik.

D’ailleurs, l’habitude séculaire du pouvoir a engendré
aussi chez les nobles quelque chose de plus délicat : l’art
de déguiser leurs intérêts d’exploiteurs sous des phrases
ronflantes, destinées à mystifier le « bon peuple » ignorant.

Ecoutez plutôt :
« A quoi bon hâter la marche du temps ? C’est peut
être un préjugé, mais les vieilles traditions ne permet
tent pas d’œuvrer dans ce sens...»
Ces mots de M. Narychkine (homme do bon conseil
qui défendait le point de vue de l’Etat) reflètent un sens
de classe très juste. Bien sûr, craindre les fonctions de rece
veur (ou même de cabaretier) est de nos jours un préjugé,
mais n’est-ce pas grâce aux préjugés de la masse ignorante
des paysans que s’exerce encore l’exploitation éhontée de
ces derniers par les grands propriétaires fonciers dans nos
campagnes ? Les préjugés disparaissent bien assez vite ;
pourquoi donc hâter encore leur disparition en rapprochant
publiquement le noble et le cabaretier, en aidant le paysan
à s’assimiler (ce qu’il a du reste déjà commencé à faire) cette
vérité élémentaire qu’un seigneur terrien noble est tout aus
si usurier, pillard et accapareur que n’importe quel vampire
de village, à cela près qu’il est infiniment plus fort, fort de
ses domaines, de ses privilèges accumulés au cours des siè
cles, de ses relations avec le pouvoir impérial, de son habitude
du pouvoir et de son habileté à dissimuler sa véritable na
C’est à l'écurie que les nobles faisaient fouetter leurs serfs.

(A. R.)

ture de Petit-Judas derrière toute une doctrine de romantis
me et de magnanimité ?

Certes, M. Narychkine est un homme de bon conseil, et c’est
la sagesse d’homme d’Etat qui parle par sa bouche. Je ne
m’étonne pas que le « maréchal » de la noblesse d’Orel lui
ait répondu, avec une élégance d’expression qui aurait
fait honneur à un lord anglais :
« Répliquer aux autorités que nous avons entendues
ici serait de l’audace de ma part, si je n’étais persuadé
qu’en combattant leur avis, je ne combats point leurs con
victions. »
Voilà qui est exact, et même dans un sens infiniment
plus large que ne l’imaginait M. Stakhovitch, qui a véri
tablement énoncé une vérité sans le vouloir. Pour les convic
tions, ces messieurs de la noblesse ont tous les mêmes depuis
les esprits pratiques jusqu’aux romantiques. Tous croient
fermement à leur « droit sacré » de posséder des centai
nes ou des milliers de déciatines de terres spoliées par leurs
ancêtres ou octroyées par des pillards, à leur droit d’exploi
ter les paysans et de jouer un rôle dominant dans l’Etat,
au droit de piquer les meilleurs morceaux (et même au
pis aller les autres) dans l’assiette au beurre de l’Etat, c’est
à-dire de s’approprier les deniers publics. Leurs opinions
ne divergent que sur l’utilité de telle ou telle mesure, et
leurs débats, quand ils examinent ces divergences de vues,
ne sont pas moins intéressants pour le prolétariat que toute
querelle de famille dans le camp des exploiteurs. Ces querel
les font ressortir nettement la différence entre les intérêts
communs de toute la classe capitaliste ou agrarienne et
les intérêts de tels ou tels individus ou groupes particuliers :
on y laisse souvent échapper ce qu’en général on tient soi
gneusement caché.

Au surplus, l’épisode d’Orel jette encore quelque lumiè
re sur le caractère du fameux monopole des boissons. Quels
biens n’en attendait pas notre presse officielle et officieuse :
et l’augmentation des revenus de l’Etat, et l’amélioration
du produit et la diminution de l’ivrognerie ! En réalité,
au lieu d’une augmentation des revenus, il n’y a eu jus
qu’ici que renchérissement de l’alcool, complication du bud
get, impossibilité de définir avec précision les résultats
financiers de toute l’opération ; au lieu d’une amélioration