Volume 04 pages 420-421
des hommes d’Etat. D’une part, on est obligé de reconnaître
que la chose est un’peu préjudiciable, mais il faut bien avouer,
d’autre part, qu’elle est avantageuse. Car on peut amas
ser un capital et garder son innocence : le directeur des
contributions indirectes peut procéder à des nominations
même sans caution, et les 40 nobles prévus peuvent recevoir
leurs places à la requête du maréchal de la noblesse de la
province, sans artel ni contrat, autrement il pourrait se
faire que « le ministre de l’intérieur casse la décision afin
d’assurer la bonne marche de l’Etat». Ce sage avis l’au
rait sans doute emporté si le maréchal de la noblesse
n’avait fait deux très importantes déclarations : d’abord,
que le contrat avait déjà été présenté au Conseil du ministre
des Finances, qui l’avait reconnu possible en donnant son
accord de principe ; ensuite, que « ces places ne pouvaient
être obtenues sur simple requête du maréchal do la noblesse
de la province ». Et le rapport fut adopté.
Pauvres romantiques ! Ils ont été battus. Pourtant, com
me ils avaient bien parlé.
« La noblesse n’a toujours fourni jusqu’ici que des diri
geants. Et le rapport propose de former on ne sait quelle
artel. Cela répond-il au passé, au présent et à l’avenir de
la noblesse ? Selon la loi sur les receveurs, en cas do malver
sation de la part du cabarotier, c’est le noble qui devrait
se mettre au comptoir. Plutôt mourir que d’exercer pareille
fonction ! »
Ah, Seigneur ! que de noblesse dans l’être humain !
Plutôt mourir que de se faire marchand de vodka ! Vendre
du blé, voilà une noble occupation, surtout dans les années
de disette, où l’on peut s’engraisser aux dépens des affamés.
Ce qui est plus noble encore, c’est de pratiquer l’usure sur
le blé, de prêter l’hiver aux paysans affamés du blé rembour
sable l’été en travail et d’estimer ce travail trois fois au
dessous du prix ordinaire. Dans cette zone centrale des ter
res noires à laquelle appartient la province d’Orel, nos
grands propriétaires fonciers se sont toujours livrés avec
beaucoup de zèle et se livrent encore à cette archinoble
variété d’usure. Et, pour bien distinguer l’usure noble de
celle qui ne l’est pas, il faut naturellement crier aussi fort
que possible qu’il est indigne, pour un noble, de faire le
cabaretier.
« 11 faut sauvegarder rigoureusement notre vocation,
exprimée dans le célèbre manifeste de Sa Majesté Impéria
le : servir le peuple avec désintéressement. Un service lu
cratif est incompatible avec cette mission»... «Un ordre
qui s’est acquis dans le passé des mérites tels que le service
des armes de ses ancêtres, et qui a supporté le poids des
grandes réformes de l’empereur Alexandre II, a sur quoi
s’appuyer pour continuer à remplir ses obligations envers
l’Etat. »
Service désintéressé, oui vraiment ! Les distributions
de terres, les attributions de domaines peuplés, c’est-à-dire
le don de milliers de déciatines et de milliers de serfs, la
constitution d’une classe de grands propriétaires fonciers
possédant des centaines, des milliers et des dizaines de mil
liers de déciatines et réduisant à la pire misère, par leur
exploitation, des millions de paysans, telles sont les mani
festations do ce désintéressement. Mais ce qui est particu
lièrement charmant, c’est l’allusion aux «grandes» réfor
mes d’Alexandre II. Ainsi, l’abolition du servage : avec
quel désintéressement notre généreuse noblesse a tondu de
très près les paysans ! Elle les a obligés à racheter leur pro
pre terre en la payant trois fois plus cher que son prix réel ;
elle s’est approprié toutes sortes de « coupes » de terre pay
sanne, elle a échangé ses sables, ses ravins et ses landes con
tre de bonnes terres paysannes, et maintenant elle a encore
le front do se vanter de pareils exploits 1
« L’administration des boissons n’a rien de patrioti
que »... «Nos traditions ne sont pas fondées sur des roubles,
mais sur le service de l’Etat. La noblesse ne doit pas devenir
une Bourse. »
Les raisins sont trop verts ! La noblesse « ne doit pas »
devenir une Bourse, parce qu’à la Bourse il faut avoir de
gros capitaux, et que Messieurs les esclavagistes d’hier
sont ruinés de fond en comble. Pour la plupart d’entre eux,
ce qui est depuis longtemps un fait accompli, ce n’est pas
la transformation en Bourse, mais la soumission à la Bourse,
la subordination au rouble. Et, dans sa chasse au rouble,
le « premier ordre » de l’Etat se livre depuis longtemps
déjà à des occupations aussi hautement patriotiques que-la
fabrication d’une eau-de-vie de pacotille, l’installation de
raffineries de sucre et d’autres usines, la participation à