Volume 04 pages 412-413
comme si l’on avait craint de retourner comme il faut toute
cette ordure : on peut vivre auprès d’un cabinet d’aisances,
s’y habituer, ne plus le remarquer, s’y acclimater, mais
qu’on se mette à le nettoyer et la puanteur qui s’en dégagera
incommodera certainement tous les habitants du logement
intéressé, et aussi des logements voisins.
Voyez la niasse de questions qui se posaient tout natu
rellement et que personne ne s’est même donné la peine de
tirer au clair. Pourquoi Vozdoukhov s’est-il rendu chez
le gouverneur ? Loin de répondre à cette question, l’acte
d’accusation —ce document qui incarne la volonté du
ministère public d’élucider tout le crime —ne lait que
l’éluder en prétendant que Vozdoukhov « lut arrêté en état
d’ébriété dans la cour du palais du gouverneur par l’agent
Chélémétiev ». Cela donne même à entendre que Vozdou
khov causait du désordre, et où cela ? dans la cour du gou
verneur ! Or, en réalité, Vozdoukhov était arrivé en fiacre
chez le gouverneur pour déposer une plainte : c’est un lait
établi. De quoi voulait-il se plaindre ? L’inspecteur de la
maison du gouverneur Ptitsyne dit qu’il se plaignait d’un
certain embarcadère où l’on avait relusé do lui délivrer
un billet pour une traversée ( ? ). Le témoin Moukhanov,
ancien commissaire du quartier où lut battu Vozdoukhov
(et aujourd’hui directeur de la prison provinciale de Vla
dimir), dit avoir entendu la femme de Vozdoukhov avouer
qu’ils avaient bu tous les deux, qu’on les avait battus a
Nijni-Novgorod, aussi bien à la police fluviale qu'au commis
sariat du quartier Rojdestvenski, et que c'est à ce sujet que
son mari voulait faire une déclaration au gouverneur. Malgré
une contradiction manileste entre les dépositions de ces
témoins, le tribunal ne tente absolument rien pour éclair
cir la chose. Au contraire, n’importe qui serait parfaitement
en droit de conclure qu’il ne veut pas l’éclaircir. La femme
de Vozdoukhov était témoin au jugement, mais personne
n’a eu la curiosité de lui demander si on les avait réellement
battus, elle et son mari, dans plusieurs commissariats de
Nijni, dans quelles circonstances on les avait arrêtés, dans
quels locaux on les avait battus, qui les avait battus, si
son mari voulait vraiment se plaindre au gouverneur,
s’il n’avait inlormé personne d’autre de son intention. Le
témoin Ptitsyne, fonctionnaire do la chancellerie du gou-
verneur, devait très probablement être fort peu disposé
à entendre la plainte de Vozdoukhov — qui n’était pas ivre
du tout, mais qu’on envoya quand même dessoûler ! — con
tre la police, et chargea un agent ivre, Chélémétiev, de con
duire le plaignant au poste pour le dégriser, cet intéressant
témoin n’a pas été soumis à un contre-interrogatoire. On ne
demande pas non plus au cocher Kraïnov, qui a amené
Vozdoukhov chez le gouverneur et l’a conduit ensuite au
poste, si Vozdoukhov ne lui a pas conlié la raison de sa cour
se, ce qu’il a dit exactement à Ptitsyne, si quelqu’un d’au
tre n’aurait pas entendu cette conversation. Le tribunal
se contente de lire une courte déposition de Kraïnov absent
(attestant que Vozdoukhov n’était pas ivre, mais seule
ment un peu pris de boisson), et le substitut ne pense même
pas à exiger la comparution de ce témoin important. Si l’on
songe que Vozdoukhov est un sous-ollicier de réserve, donc
un homme d’expérience connaissant un peu les lois et rè
glements, que même après avoir été battu à mort il dit en
core à des camarades : « Je porterai plainte », il apparaît
plus que vraisemblable qu’il était bien allé chez le gouver
neur pour déposer une plainte contre la police, que le té
moin Ptitsync a menti pour innocenter cette dernière et
que les juges-larbins et le procureur-larbin n’ont pas voulu
faire la lumière sur cette histoire épineuse.
Continuons. Pourquoi a-t-on battu Vozdoukhov ? L’acte
d’accusation présente encore les choses d’une laçon telle
qu’on aurait diilicilement pu favoriser davantage... les
accusés. Le « motif des sévices » aurait été la blessure que
se lit à la main Chélémétiev au moment où il poussait Voz
doukhov dans le corps de garde. Mais pourquoi a-t-on pous
sé cet homme qui avait parlé calmement à Chélémétiev et
Panov (admettons qu’il lallait absolument le pousser !)
non pas dans la chambre d’arrêt, mais d’abord dans le corps
de garde ? On l’a envoyé là pour y dessoûler — il y a déjà
plusieurs ivrognes dans la chambre d’arrêt —et on l’y
lait entrer d’ailleurs par la suite ; pourquoi donc Ché
lémétiev, après l’avoir « présenté » à Panov, le pousse-t-il
dans le corps de garde ? Précisément, et de toute évidence,
pour le passer à tabac. Dans la chambre d’arrêt, il y a du
monde ; tandis que dans le corps de garde Vozdoukhov sera
seul, et Chélémétiev sera assisté de ses camarades et de