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verneur, devait très probablement être fort peu disposé
à entendre la plainte de Vozdoukhov — qui n’était pas ivre
du tout, mais qu’on envoya quand même dessoûler ! — con
tre la police, et chargea un agent ivre, Chélémétiev, de con
duire le plaignant au poste pour le dégriser, cet intéressant
témoin n’a pas été soumis à un contre-interrogatoire. On ne
demande pas non plus au cocher Kraïnov, qui a amené
Vozdoukhov chez le gouverneur et l’a conduit ensuite au
poste, si Vozdoukhov ne lui a pas conlié la raison de sa cour
se, ce qu’il a dit exactement à Ptitsyne, si quelqu’un d’au
tre n’aurait pas entendu cette conversation. Le tribunal
se contente de lire une courte déposition de Kraïnov absent
(attestant que Vozdoukhov n’était pas ivre, mais seule
ment un peu pris de boisson), et le substitut ne pense même
pas à exiger la comparution de ce témoin important. Si l’on
songe que Vozdoukhov est un sous-ollicier de réserve, donc
un homme d’expérience connaissant un peu les lois et rè
glements, que même après avoir été battu à mort il dit en
core à des camarades : « Je porterai plainte », il apparaît
plus que vraisemblable qu’il était bien allé chez le gouver
neur pour déposer une plainte contre la police, que le té
moin Ptitsync a menti pour innocenter cette dernière et
que les juges-larbins et le procureur-larbin n’ont pas voulu
faire la lumière sur cette histoire épineuse.
Continuons. Pourquoi a-t-on battu Vozdoukhov ? L’acte
d’accusation présente encore les choses d’une laçon telle
qu’on aurait diilicilement pu favoriser davantage... les
accusés. Le « motif des sévices » aurait été la blessure que
se lit à la main Chélémétiev au moment où il poussait Voz
doukhov dans le corps de garde. Mais pourquoi a-t-on pous
sé cet homme qui avait parlé calmement à Chélémétiev et
Panov (admettons qu’il lallait absolument le pousser !)
non pas dans la chambre d’arrêt, mais d’abord dans le corps
de garde ? On l’a envoyé là pour y dessoûler — il y a déjà
plusieurs ivrognes dans la chambre d’arrêt —et on l’y
lait entrer d’ailleurs par la suite ; pourquoi donc Ché
lémétiev, après l’avoir « présenté » à Panov, le pousse-t-il
dans le corps de garde ? Précisément, et de toute évidence,
pour le passer à tabac. Dans la chambre d’arrêt, il y a du
monde ; tandis que dans le corps de garde Vozdoukhov sera
seul, et Chélémétiev sera assisté de ses camarades et de