Volume 04 pages 406-407
Pour Monsieur l’inspecteur de quartier ... voyons, com
ment ne pas être indulgent ! 11 a accueilli Vozdoukhov qu’ on
lui amenait; il a visiblement ordonné de l’introduire,
non pas dans la chambre d’arrêt, mais d’abord — pour lui
donner une leçon—dans le corps de garde ; il a pris part
avec ses poings et avec un livre (le Recueil des lois, sans
doute) au passage à tabac ; il a donné l’ordre do faire dis
paraître les traces du crime (de laver le sang); il a rendu
compte dans la nuit du 20 avril au commissaire de police
Moukhanov, dès son arrivée, que « tout allait bien dans
son quartier » (textuel !), mais qu’il n’a rien de commun
avec les assassins, il est seulement coupable de voies de
fait, seulement de mauvais traitements, punissables de pri
son. Il est parfaitement naturel que ce M. Panov, ce gen
tleman innocent de tout crime, continue à servir dans la police
et occupe le poste de brigadier de police rurale. M. Panov
n’a fait que transporter sa bienfaisante activité, son ardeur
à «donner des leçons» au peuple, de la ville à la campagne.
Dites-moi en toute conscience, amis lecteurs, le brigadier
Panov peut-il comprendre la sentence do la Chambre au
trement que comme un conseil de mieux cacher à l’avenir
les traces du crime, de « donner des leçons » de telle sorte
qu’il n’y ait pas de traces. Tu as fait laver le sang du visage
du mourant, c’est très bien, mais tu as laissé Vozdoukhov
mourir : cela, mon bon, c’était imprudent ; dorénavant,
sois plus circonspect et enfonce-toi dans la tête ce premier
et dernier commandement de l’argousin russe : « Cogne, mais
sans que mort s’ensuive ! ».
Du point de vue humain, la sentence de la Chambre en
ce qui concerne Panov n’est qu’une parodie de justice ; elle
témoigne d’un souci vraiment servile de faire retomber
toute la faute sur les policiers subalternes et d’innocenter
leur chef direct, avec l’aveu, l’approbation et la partici
pation de qui ont été infligés ces féroces sévices. Du point
de vue juridique, cette sentence est un modèle de la casuis
tique dont sont capables les juges-fonctionnaires qui ne
gnées, où ils peuvent vivre comme des coqs en pâte avec l’argent volé
(les banquiers-voleurs en Sibérie occidentale), et d’où il est facile
de s’échapper à l’étranger (le colonel de gendarmerie Méranville
de Saint-Clair).
valent guère mieux que notre inspecteur de police lui-même.
La langue a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée,
disent les diplomates. La loi a été donnée pour déna
turer la notion de culpabilité et de responsabilité, peuvent
dire nos juristes. Quel art raffiné de procédurier ne faut-il
pas, en effet, pour ramener la complicité de tortures à de
simples voies do fait! L’ouvrier qui, le matin du 20
avril, a peut-être fait voltiger le bonnet de Vozdoukhov,
est alors coupable du même délit — moins encore : non
pas du même délit, mais de la même « infraction »— que
Panov. Même la simple participation à une rixe (et non au
passage à tabac d’un homme sans défense) entraîne une
peine plus sévère, s’il y a mort d’homme, que celle infligée
à l’inspecteur. Les chicaniers du tribunal ont tout d’abord
profité du fait que, pour des sévices dans l’exercice de fonc
tions publiques, la loi prévoit plusieurs peines et laisse au
juge, selon les circonstances, le choix entre la prison (2 mois
au moins) et la déportation en Sibérie. Ne pas enfermer le
juge dans des stipulations trop formelles, lui laisser une
certaine latitude, c’est évidemment un principe très rai
sonnable, et nos professeurs de droit pénal en ont à juste
titre félicité à maintes reprises la législation russe en sou
lignant son libéralisme. Ils ont seulement, ce faisant, oublié
un détail : pour appliquer des décisions raisonnables, il
faut dos juges qui ne soient pas .réduits à la situation de sim
ples fonctionnaires, il faut que des représentants de la
société participent au jugement et des représentants de
l’opinion publique à l’examen de l’affaire. Et, d’autre part,
le substitut est venu ici à l’aide du tribunal, en abandonnant
à l’égard do Panov (et .d’Olkhovine) l’accusation de sévices
et de cruautés et en demandant de le punir seulement pour
voies de fait. Le substitut s’est référé, pour sa part, à la con
clusion des experts, selon qui les coups portés par Panov
n’ont été ni particulièrement cruels ni prolongés. Le sophis
me juridique, comme vous le voyez, ne se distingue pas par
une grande ingéniosité : du fait que Panov a frappé moins
que les autres, on peut dire que ses coups n’ont pas été
particuUèreinent cruels ; et s’ils n’ont pas été particuliè
rement cruels, on peut en conclure qu’ils ne doivent pas
être qualifiés do « sévices et cruautés » ; or, s’ils ne ren
trent pas dans la catégorie des sévices et cruautés, c’est qu’il