Volume 04 pages 360-361
cord pour les deux premières. Il en est ainsi décidé : pour
le moment, en attendant le projet de nouveau système
de rédaction que nous devons présenter, l’ancien subsiste
(nous sommes tous les six corédacteurs, et Plékhanov dis
pose de 2 voix).
Plékhanov veut ensuite savoir au juste ce qu’il y a
eu exactement, ce qui faisait l’objet de notre méconten
tement. Je fais remarquer qu’il vaudrait peut-être mieux
s’occuper davantage de l’avenir, et moins du passé. Mais
11 soutient qu’il faut faire la lumière, analyser. Une con
versation s’engage, à laquelle participent presque exclu
sivement Plékhanov et moi-même, Arsénicv et Axelrod
demeurent silencieux. Conversation assez calme, même par
faitement calme. Plékhanov dit avoir remarqué qu’Arsé
niev était irrité de son relus concernant Strouvé, — je lais
remarquer que c’est lui au contraire qui nous posait des
conditions, contrairement à ce qu’il avait déclaré aupa
ravant, dans la lorêt, en disant qu’il n’en' poserait pas.
Plékhanov se défend : s’il s’est tu, ce n’est pas qu’il po
sait des conditions, mais que, pour lui, la question était
claire. Je parle de la nécessité d’admettre la polémique,
de la nécessité d’admettre des votes entre nous : il ac
cepte le dernier point, mais ajoute : sur les questions de
détail, naturellement, on volera, mais pas sur les ques
tions fondamentales. Je réplique que précisément, il ne
sera pas toujours facile de distinguerentre les questions fonda
mentales et les questions de détail, et que c’est juste
ment pour cela qu’il faudra voler entre corédacteurs.
Plékhanov s’obstine, il dit que c’est affaire de conscience,
que la distinction entre les questions fondamentales et
les questions de détail est chose claire, ne nécessitant au
cun vote. Nous noussommes enl isés dans cette d iscussion, pour
savoir si la mise aux voix était admissible entre corédac
teurs sur la délimitation entre les questions fondamenta
les et les questions de détail, et le problème n’avança
pas d’un pas. Plékhanov étala toute son habileté, tout
l’éclat de ses exemples, de ses comparaisons, de ses plai
santeries et de ses citations, qui nous faisaient rire mal
gré nous ; il réussit cependant à escamoter la question sans
dire franchement: non. J’acquis la conviction que, sur
ce point-là précisément, il ne pouvait céder, renoncer à
son « individualisme » et à ses « ultimatums », car sur
des questions de ce genre il était décidé à ne pas ouvrir le
vote, mais à poser des ultimatums.
Je partis le soir même, sans revoir personne d’autre
du groupe « Libération du Travail ». Nous décidâmes de
ne raconter à personne ce qui s’était passé, sauf dans notre
entourage le plus proche, de sauver les apparences, de ne
pas fournir une occasion de triomphe aux adversaires.
Extérieurement, il ne s’était rien produit, toute la machi
ne devait continuer à tourner comme auparavant : seule
ment, une corde s’était rompue à l’intérieur, et d’excel
lentes relations personnelles avaient fait place à des rela
tions d’allaircs sèches, compliquées de perpétuels cal
culs, selon la formule : si vis pacem, para bellum *.
Il n’est pas sans intérêt cependant de noter, le soir
du même jour, une conversation que j’eus avec un très pro
che camarade et partisan de Plékhanov, membre du groupe
« Le Social-Démocrate ». Je ne lui touchai pas un mot
de ce qui s’était passé, je lui annonçai que la revue était
définie dans scs grandes lignes, les articles distribués, qu’il
ne restait plus qu’à se mettre à l’œuvre. Je m’entretins
avec lui des moyens pratiques d’entreprendre la chose :
il allirma catégoriquement que les vieux étaient absolu
ment incapables d’assurer le travail de rédaction. Je lui
parlai des « trois combinaisons » et lui demandai sans
détour laquelle, à son avis, était la meilleure. Il me répon
dit franchement et sans hésiter : « La première » (nous
rédacteurs, eux collaborateurs), en ajoutant que sans doute
la revue appartiendrait à Plékhanov et le journal à vous.
A mesure que nous nous éloignions des péripéties de
cette histoire, nous la considérions avec plus de sang-froid
et nous en vînmes à cette conviction qu’il n’y avait aucune
raison de tout lâcher, que nous ne devions pas craindre
pour le moment de prendre la rédaction (du recueil), que
c était bien à nous de nous en charger, car autrement il
n’y aurait absolument aucune possibilité de laire fonc
tionner convenablement la machine et d empêcher l’entre
prise de tomber victime des « qualités » désorganisatrices
de Plékhanov.
* Si tu veux la paix, prépare la guerre. (1N.R.)