☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 358-359

excessive (peut-être du fait de la nervosité d’Arséniev) à
des impressions auxquelles il ne fallait pas en accorder du
tout. » Nous gardons le silence, puis nous disons qu’on peut
pour le moment se contenter de brochures. Plékhanov se
lâche : « Je n’ai jamais pensé à des brochures et je n’v
pense pas. Ne comptez pas sur moi. Si vous partez, je ne res
terai pas les bras croisés et je peux m’engager avant votre
retour dans une autre entreprise. »
Rien n’a fait tomber Plékhanov aussi bas dans mon
estime que cette déclaration, quand je me la rappelai
ensuite pour l’examiner sous tous ses aspects. C’était une
menace si grossière, une tentative d’intimidation si mal
calculée qu’elle ne pouvait que « couler » définitivement
son auteur, en dévoilant la « politique » dont il usait à
notre égard : leur faire peur un bon coup et tout sera dit...

Mais nous ne fîmes pas la moindre attention à sa me
nace. Je me contentai de serrer les lèvres sans mot dire :
parfait, pensai-je, eh bien, à la guerre comme a la guerre*,
mais tu es bien bête si tu ne vois pas que nous sommes au
jourd’hui d’autres hommes, que nous nous sommes complè
tement métamorphosés au cours do la nuit.

Voyant que la menace n’opère pas, Plékhanov essaie
d’une autre manœuvre. En elfet, comment ne pas parler
de manœuvre quand, quelques minutes plus tard, il se mot
à affirmer que rompre avec nous, c’est pour lui renoncer à
toute activité politique, qu’il y renonce en effet pour so
consacrer à la littérature scientifique, purement scienti
fique, car, s’il ne peut plus travailler avec nous, cela veut
dire qu’il ne peut travailler avec personne... Si la mena
ce n’agit pas, peut-être la flatterie prendra-t-elle?... Mais,
après l’essai d’intimidation, l’effet ne pouvait être que
désastreux... L’entretien fut bref, rien ne marchait plus;
le comprenant, Plékhanov détourna la conversation sur
les cruautés des Russes en Chine, mais il était presque
seul à parler, et bientôt nous nous séparâmes.

Notre entretien avec Axelrod et Zassoulitch, après
le départ de Plékhanov, ne présenta plus rien d’intéressant
ni d’essentiel : Axelrod se démenait, s’efforçait de nous
démontrer que Plékhanov était consterné lui aussi, que
* En français dans le texte. (N. R.)

nous aurions tort maintenant de partir dans ces condi
tions et ainsi de suite. Zassoulitch, dans un entretien
intime avec Arséniev, reconnut que « Georges » avait tou
jours été le même, avoua son «héroïsme d’esclave», recon
nut que « ce serait une leçon pour lui » si nous partions.

Le reste de la soirée fut vide et pénible.

Le lendemain, mardi 28 août nouveau style, il fallait
partir pour Genève, et, de là, pour l’Allemagne. De bon
matin, je suis réveillé par Arséniev (qui d’ordinaire se
levait tard). Je m’étonne: il dit qu’il a mal dormi et qu’il a
imaginé une dernière combinaison possible pour arranger
tant bien que mal les choses, pour ne pas vouer à l’échec,
à cause d’une brouille personnelle, une entreprise impor
tante organisée par le Parti. Nous publierons un recueil,
puisque, heureusement, les matériaux sont prêts et les
liaisons mises au point avec l’imprimerie. Nous éditerons
le recueil en attendant, sans que les questions de rédac
tion aient été précisées, et puis on verra: du recueil il est
également facile do passer à la revue ou aux brochures.

Si Plékhanov s’obstine, alors que le diable l’emporte, nous
saurons que nous avons fait tout ce qui était possible...

C’est décidé.

Nous allons communiquer la nouvelle à Axelrod et à
Zassoulitch et nous les rencontrons : ils se rendaient chez
nous. Naturellement ils acquiescent volontiers, et Axel
rod se charge de parlementer avec Plékhanov pour obte
nir son consentement.

Arrivés à Genève, nous avons un dernier entretien avec
Plékhanov. Il parle comme s’il n’y avait eu entre nous
qu’un fâcheux malentendu causé par la nervosité. Il
demande avec intérêt à Arséniev des nouvelles de sa santé
et va pour le prendre dans ses bras, ou peu s’en faut :
l’autre esquisse un mouvement de recul. Plékhanov donne
son accord pour le recueil : nous disons que, pour orga
niser la rédaction, il y a trois combinaisons possibles
(1° nous rédacteurs, lui collaborateur ; 2° tous corédacteurs ;
3° lui rédacteur, nous collaborateurs), que nous les exa
minerons toutes les trois en Russie, établirons un pro
jet et le rapporterons ici. Plékhanov déclare qu’il re
pousse catégoriquement la troisième, insiste pour que
cette combinaison soit absolument exclue, et donne son ac-