☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 352-353

dû très proches camarades et partisans de Plékhanov parmi
les jeunes (membres du groupe « Le Social-Démocrate » l27,
partisans de toujours de Plékhanov, militants, non pas des
ouvriers mais des militants, des gens simples, pratiques,
entièrement dévoués à Plékhanov), ces entretiens m’avaient
entièrement confirmé (ainsi qu’Arséniev) dans l’idée que
c’était bien ainsi que nous devions poser la question : ces
partisans de Plékhanov nous avaient déclaré eux-mêmes,
sans ambages, que la rédaction devait être située de pré
férence en Allemagne, car cela nous rendrait plus indépen
dants de Plékhanov, et que si les vieux avaient entre leurs
mains le travail effectif de rédaction, il s’ensuivrait des
retards effrayants, sinon l’échec de toute notre entreprise.

Pour les mêmes raisons, Arséniev aussi s’en tenait absolument
pour l’Allemagne.

Dans mon récit de la façon dont fallit s’éteindre VIskra,
je me suis arrêté à notre retour chez nous, le soir du diman
che 26 août (nouveau style). Dès que nous nous trouvâmes
seuls, en descendant du bateau, ce lut parmi nous comme un
déluge d’expressions indignées. C’était plus fort que nous,
l’atmosphère trop lourde se déchargeait en orage. Jusqu’à
une heure avancée, nous avons parcouru de long en large
notre petit hameau ; la nuit était assez sombre, dos orages
grondaient aux alentours et des éclairs brillaient. Nous
nous indignions tout en marchant. Arséniev, je m’en sou
viens, commença par dire qu’il considérait ses relations
personnelles avec Plékhanov comme désormais rompues pour
toujours, et qu’il ne les reprendrait jamais : les relations
d’aliaires demeureront, mais personnellement, entre moi et
lui, c’est fertig *. Sa façon d’agir est si blessante qu’elle
nous oblige à le soupçonner de très « vilaines » pensées à
notre égard (c’est-à-dire qu’il nous assimile mentalement
à des Streber **). Il nous traite plus bas que terre, etc.

Je soutenais entièrement ces accusations. Ma « passion »
pour Plékhanov avait disparu comme par enchantement,
et il m’en restait un dépit et une amertume incroyables.

Jamais, jamais de ma vie, je n’avais eu pour un homme au
* Fini. (N.R.)
♦♦ Ambitieux, arriviste. (N.R.)

tant de respect sincère cl de vénération*, devant personne
je n’avais gardé autant d’« humilité », et jamais je n’avais
eu le sentiment d’avoir reçu un « coup de pied » aussi brutal.

Or, c’était véritablement un coup de pied que nous avions
reçu : on nous avait lait peur comme à des gamins en nous
disant que les grandes personnes nous quitteraient et nous
laisseraient seuls, et, après que nous avions lâchement cédé
(quelle honte !), on nous avait écartés avec un sans-gêne
incroyable. Nous voyions clairement maintenant que ce
relus*d’être corédacteur, signilié dans la matinée, n’était
rien d’autre qu’un piège, une manœuvre calculée, un fi
let tendu à de naïfs « blancs-becs » : cela ne faisait aucun
doute, car si Plékhanov avait sincèrement redouté la coré
daction, s’il avait craint de freiner les choses, de créer entre
nous des heurts inutiles, il n’aurait absolument pas pu mon
trer une minute plus tard (et cela si grossièrement) que co
rédaction signiliait exactement pour lui monorédaction. Mais
puisqu’un homme avec qui nous voulons collaborer étroite
ment pour une œuvre commune, on relations intimes avec
lui, puisque cet homme use à l’égard do camarades de pareil
les manœuvres, il ne lait plus de doute qu’il est mauvais,
vraiment mauvais, qu’il est dominé par des mobiles per
sonnels d’amour-propre mesquin et de vanité, qu’il n’est
pas sincère. Cotte découverte — c’était pour nous une véri
table découverte ! — nous lit 1 ’ellet d’un coup de foudre,
car nous avions ou tous deux jusqu’alors une passion pour
Plékhanov ; comme à une personne aimée, nous lui pardon
nions tout, nous fermions les yeux sur tous ses défauts, nous
tâchions de nous persuader par tous les moyens que ces
défauts n’existaient pas, que c’étaient des bagatelles, que
pour y attacher de l'importance il 1 ail ai t ne pas accorder une
valeur sullisante aux principes. Et voilà que l’évidence
même nous obligeait à reconnaître que ces « bagatelles »
étaient capables de rebuter les amis les plus dévoués et
que la conviction qu’il avait raison sur le plan théorique ne
pouvait absolument pas laire oublier ses côtés rebutants.

Notre indignation était à son comble: notre idéal était
brisé et nous trouvions une extrême jouissance à le fouler
aux pieds, comme une idole renversée: les accusations les
♦ En français dans le texte. (N.7?.)
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