Volume 04 pages 348-349
Axelrod et Zassoulitch et nous deux en l’absence de notre
troisième)124. Axelrod arriva enfin, et le congrès s’ouvrit.
A propos de notre attitude envers l’Union juive (le Bund)
Plékhanov manifesta une intolérance phénoménale, décla
rant sans plus de façons que ce n’était pas une organisation
social-démocrate, mais simplement une organisation d’ex
ploiteurs qui exploitait les Russes, disant que notre but
était de chasser ce Bund du Parti, que les Juiis étaient tous
des chauvins et des nationalistes, qu’un parti russe devait
être russe et ne pas se laisser « subjuguer » par cette « race
infâme », etc. Toutes nos objections contre ces propos in
convenants n’aboutirent à rien. Plékhanov resta entière
ment sur ses positions, disant que nous ignorons tout des
milieux juifs et que nous manquions de savoir pratique quant
au travail en commun avec les Juifs. Aucune résolution ne
fut prise sur ce point. Il fut donné lecture, devant le con
grès, de la « déclaration » : Plékhanov eut un comportement
bizarre, gardant le silence, ne proposant aucun amendement,
ne s’élevant pas contre le fait qu’on y autorisait la polé
mique; en un mot, il sembla se tenir à l’écart, oui, à l’é
cart, et refuser de participer, se bornant à lancer incidemment,
en passant, une remarque venimeuse, caustique, selon la
quelle, pour sa part, il (où plutôt « eux », c’est-à-dire le
groupe « Libération du Travail » où il joue le rôle de dic
tateur) aurait, bien sûr, écrit une tout autre déclaration.
Lancée incidemment, et d’ailleurs jointe à une phrase di
sant tout autre chose, cette remarque me fit un effet très
désagréable : nous sommes en conférence, entre corédac
teurs, et voilà l’un de nous (prié par deux fois de donner
son projet de déclaration ou de présenter ses amendements
à la nôtre) qui, sans proposer aucune modification, se
borne à remarquer sarcastiquement que lui, bien sûr, n’au
rait pas écrit ainsi (de façon aussi timide, aussi modeste,
aussi opportuniste, voulait-il dire). Il était clair, dès lors,
qu’il n’y avait pas de relations normales entre lui et nous.
Ensuite — je passe sur des points moins importants exa
minés au congrès — se pose la question de 1 ’attitude à 1 ’égard
de Bobo 125 et de M. Tougan-Baranovski. Nous sommes
d’avis de les inviter sous condition (l’âpreté de Plékhanov
nous y poussait fatalement : nous voulions montrer par
là que nous désirions une autre attitude. L’invraisembla-
ble brutalité de Plékhanov pousse comme instinctivement
à protester, à défendre ses adversaires. Comme Zassoulitch
l’a fait très finement remarquer, il a une façon de discuter
qui éveille chez le lecteur de la sympathie pour son adver
saire). Plékhanov déclare très froidement et sèchement qu’il
n’est absolument pas d’accord et garde démonstrativement
le silence pendant tous nos pourparlers, assez longs, avec
Axelrod et Zassoulitch qui ne sont pas éloignés d’être de
notre avis. Toute cette matinée se passa dans une espèce
d’atmosphère très lourde : les choses prenaient indiscu
tablement une tournure telle que nous étions en présence
d’un ultimatum de Plékhanov : ou bien lui, ou bien ces
« canailles ». Ce que voyant, Arséniev et moi résolûmes
de céder et, dès l’ouverture de la séance du soir, nous dé
clarâmes que, « sur les instances de Plékhanov », nous re
noncions à notre proposition. Cette déclaration fut accueil
lie en silence (comme s’il allait absolument de soi que nous
ne pouvions pas ne pas céder !). Nous étions passablement
énervés par cette « atmosphère d’ultimatums » (comme la
qualifia plus tard Arséniev) : le désir de Plékhanov de
commander sans partage était évident. Peu de temps aupa
ravant, lors d’un entretien à titre privé, comme nous par
lions de Bobo (Plékhanov, Arséniev, Zassoulitch et moi,
un soir au cours d’une promenade en forêt), il avait dit
après une discussion animée, en me posant la main sur l’é
paule : «Mais, Messieurs, je ne pose pas de conditions, nous
examinerons tout cela ensemble au congrès et nous en dé
ciderons en commun. » A ce moment, cela me toucha beau
coup. Mais au congrès ce fut exactement l’inverse :
Plékhanov s’y refusa à discuter en camarade et garda
un silence farouche, signifiant par là qu’il « posait des
conditions ». Pour moi, ce fut une manifestation évidente
d’insincérité (bien que, sur-le-champ, je n’aie pas encore
formulé aussi clairement mes impressions) ; quant à Ar
séniev, il déclara tout net : « Cette concession, il me la
paiera ! » Arrive le samedi. Je ne me souviens plus
au juste de quoi on parla ce jour-là, mais le soir, comme
nous marchions tous ensemble, un nouveau conflit
éclata. Plékhanov disait qu’il fallait commander à une
personne (encore inconnue dans le monde des publicis
tes, mais en qui Plékhanov voulait voir un talent de phi-