Volume 04 pages 346-347
de rendre l’ambiance extrêmement pesante. De temps en
temps, il y avait même de petites « frictions » sous la forme
de répliques enflammées de Plékhanov à la moindre petite
remarque tendant à refroidir ou à calmer tant soit peu les
passions exaspérées (par la scission). Il y eut aussi des « fric
tions » quant à la tactique de la revue : Plékhanov a tou
jours manifesté une extrême intolérance, une incapacité et
une mauvaise volonté à comprendre les arguments des au
tres, et de plus un manque de sincérité, c’est bien le terme
exact. Nous disions que nous devions être indulgents autant
que possible envers Strouvé, car nous-mêmes n’étions pas
sans responsabilité dans son évolution : nous-mêmes, Plé
khanov y compris, no nous étions pas insurgés au moment
où il fallait le faire (en 1895, 1897). Mais Plékhanov ne
voulait absolument pas se reconnaître la moindre part de
faute, se retranchant derrière des arguments manifestement
faibles, qui écartaient la question au lieu de l’éclairer.
Dans un entretien amical entre futurs corédacteurs, cette...
diplomatie produisait l’effet le plus désagréable : pourquoi
se leurrer en prétendant qu’en 1895 il lui aurait été « or
donné » (? ?), à lui Plékhanov, do « ne pas tirer » (sur Strou
vé), et qu’il était habitué à faire ce qu’on lui ordonnait
(voilà qui lui ressemble !) 121. Pourquoi se leurrer en assu
rant qu’en 1897 (au moment où Strouvé annonçait dans
le Novoïê Slovo son intention de réfuter l’une des thèses
fondamentales du marxisme) il n’avait pas pris position
contre, parce qu’il ne comprenait pas du tout (et ne com
prendrait jamais) la polémique entre collaborateurs d’une
seule et même revue122. Ce défaut de sincérité était d’au
tant plus irritant que Plékhanov s’attachait au cours de
la discussion à démontrer que nous ne voulions pas d’une
guerre implacable contre Strouvé, que nous voulions soi
disant « tout concilier », etc. Des discussions ardentes
se sont engagées aussi sur la question générale delà polé
mique dans la revue : Plékhanov était contre, et refusait
d’écouter nos raisons. Il montrait pour les «gens de l’Union»
une haine passant les bornes de la décence (les soupçonnant
de mouchardage, les accusant d’affairisme, de fripouil
lerie, se déclarant prêt à « fusiller » sans hésiter pareils
« traîtres », etc.). Les allusions les plus discrètes à ses pro
pres exagérations (par exemple, mon allusion à la publica-
tion de lettres privées123 et à l’imprudence de ce procédé),
suscitaient chez lui une agitation vraiment frénétique et
une irritation manifeste. Le mécontentement grandissait
visiblement et chez lui et chez nous. Chez lui, il se tradui
sit notamment par le trait suivant : nous avions un pro
jet de déclaration rédactionnelle (« Note de la rédaction ») *,
où il était question de l’objet et du programme de nos pu
blications ; il était écrit dans un esprit « opportuniste »
(selon Plékhanov) : on y admettait les polémiques entre
collaborateurs, le ton en était modeste, il réservait la pos
sibilité d’un règlement pacifique du conflit avec les « éco
nomistes », etc. On y soulignait que nous appartenions
au Parti et que nous voulions travailler à son union. Plé
khanov avait lu cette déclaration avant mon arrivée avec
Arséniev et Véra Zassoulitch ; il l’avait lue et n’avait rien
objecté quant au fond. Il avait seulement exprimé le désir
de corriger le style, de le relever, en respectant le déroule
ment de la pensée. Et Potrossov lui avait laissé la déclara
tion à cette fin. A mon arrivée, Plékhanov ne souffla pas
un mot à ce sujet, mais, à quelques jours delà, comme j’étais
chez lui, il me rendit la déclaration avec l’air de dire :
voilà, je vous la remets intacte, devant témoins, je ne l’ai
pas perdue. Je lui demande pourquoi il n’y a pas apporté
les modifications projetées. Il se récuse : on peut le faire
plus tard, ce ne sera pas long, ce n’est pas la peine tout de
suite. Je prends la déclaration, je la corrige moi-même
(c’était un brouillon, ébauché encore en Russie), et je
la relis à Plékhanov (en présence de Véra Zassoulitch),
après quoi je lui demande explicitement de prendre ce texte
et de le corriger. Il se récuse de nouveau, rejetant ce travail
sur Véra Zassoulitch qui était assise à côté de lui (son at
titude était tout à fait singulière, car nous n’avions pas
demandé à V. Z. de s’en charger ; elle n’aurait d’ailleurs
pas été capable d’apporter des corrections destinées à « re
lever» le ton et à donner à la déclaration le caractère d’un
manifeste).
Les choses allèrent ainsi jusqu’au congrès (le congrès
de tout le groupe « Libération du Travail », avec Plékhanov,
* Voir le présent tome, p. 331. (N.B.)