Volume 04 pages 326-327
heurs, les ouvriers méprisent ceux qui lâchent leurs ca
marades et qui composent avec le patron. Malgré les misères
causées par la grève, les ouvriers des fabriques voisines
éprouvent toujours un regain de courage à la vue de leurs
camarades qui ont engagé la lutte. «Ceux qui supportent
tant de misères pour briser la résistance d’un seul bourgeois
sauront briser la résistance de la bourgeoisie tout entière»113,
a dit un des grands maîtres du socialisme, Engels, à propos
des grèves des ouvriers anglais. 11 suffit souvent qu’une seule
fabrique se mette en grève pour que le mouvement gagne
aussitôt une foule d’autres entreprises. Tant est grande l’in
fluence morale des grèves, tant est contagieux pour les ouvriers
le spectacle de leurs camarades qui, ne fût-ce que momen
tanément, cessent d’être des esclaves pour devenir les égaux
des riches! Toute grève contribue puissamment à orienter
les ouvriers vers l’idée du socialisme, de la lutte menée par
la classe ouvrière tout entière pour s’affranchir du joug du
capital. 11 est arrivé très souvent qu’avant une grève impor
tante, les ouvriers d’une fabrique, d’une industrie, d’une ville
donnée ne savaient presque rien du socialisme et n’y pensaient
guère, mais qu’après la grève, les cercles et les associations se
multipliaient parmi eux, tandis qu’un nombre sans cesse
grandissant d’ouvriers devenaient socialistes.
La grève aide les ouvriers à prendre conscience de leur
propre lorce et de celle des patrons elle les habitue à
penser non pas seulement à leur propre patron et à leurs
camarades les plus proches, mais à tous les patrons, à
toute la classe des capitalistes et à toute la classe ouvrière.
Lorsqu’un fabricant, qui a amassé des millions grâce au
labeur de plusieurs générations d’ouvriers, refuse la moin
dre majoration de salaire ou tente meme de le réduire en
core plus et, en cas de résistance, jette sur le pavé des mil
liers de familles affamées, les ouvriers voient clairement
que la classe capitaliste dans son ensemble est l’ennemie
de la classe ouvrière dans son ensemble, qu’ils ne peuvent
compter que sur eux-mêmes et leur union. Il arrive très
souvent que le patron s’emploie de son mieux à tromper
les ouvriers, à se faire passer pour leur bienfaiteur, à dis
simuler son exploitation des ouvriers par une aumône
dérisoire, par des promesses fallacieuses. Chaque grève
détruit toujours, d’un coup, tout ce mensonge ; elle mon-
tre aux ouvriers que leur « bienfaiteur » est un loup déguisé
en mouton.
Mais la grève n’ouvre pas seulement les yeux des ou
vriers en ce qui concerne les capitalistes ; elle les éclaire aussi
sur le gouvernement et sur les lois. De même que les fa
bricants veulent se faire passer pour les bienfaiteurs des
ouvriers, les fonctionnaires et leurs valets veulent persua
der ces derniers que le tsar et son gouvernement agissent
en toute équité, avec un égal souci du sort des patrons et
des ouvriers. L’ouvrier ne connaît pas les lois, il n’a pas
affaire aux fonctionnaires, surtout à ceux d’un rang supé
rieur, et c’est pourquoi il ajoute souvent foi à tous ces pro
pos. Mais voilà qu’éclate une grève. Procureur, inspecteur
de fabrique, police, souvent même la troupe, se présentent
à la fabrique. Les ouvriers apprennent qu’ils ont contrevenu
à la loi : la loi autorise les fabricants à se réunir et à discuter
ouvertement des moyens de réduire les salaires des ou
vriers, mais elle fait un crime à ccs ouvriers de se concerter
en vue d’une action commune ! Ils sont expulsés de leurs
logements ; la police forme les boutiques où ils pourraient
acheter des aliments à crédit ; on cherche à dresser les
soldats contre les ouvriers, alors même que ceux-ci restent
bien calmes et pacifiques. On va jusqu’à faire tirer sur les
ouvriers et, lorsque les soldats massacrent des ouvriers
desarmés en tirant dans le dos d’une foule qui s’enfuit,
le tsar on personne adresse ses félicitations à la troupe
(c’est ainsi que le tsar a félicité les soldats qui avaient
tué des ouvriers on grève à laroslavl, en 1895). Chaque
ouvrier se rend compte désormais que le gouvernement du
tsar est son pire ennemi, qu’il défend les capitalistes et
tient les ouvriers pieds et poings liés. L’ouvrier commence
à se rendre compte que les lois sont faites dans l’intérêt
exclusif des riches, que les fonctionnaires aussi défendent
l’intérêt do ces derniers, que la classe ouvrière est bâil
lonnée et qu’on ne lui laisse pas même la possibilité de
faire connaître ses besoins, que la classe ouvrière doit
de toute nécessité conquérir le droit de grève, le droit
de publier des journaux ouvriers, le droit de participer
à la représentation nationale, laquelle doit promulguer
les lois et en assurer l’exécution. Et le gouvernement
comprend fort bien lui-même que les grèves dessillent les