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yeux aux ouvriers ; c’est pourquoi il les craint tant et
s’efforce à tout prix de les étouffer le plus vile possible.
Ce n’est pas par hasard qu’un ministre de l’intérieur alle
mand, qui s’est rendu particulièrement célèbre en persé
cutant avec férocité les socialistes et les ouvriers cons
cients, a déclaré un jour devant les représentants du peuple :
«derrière chaque grève se prolile l’hydre (le monstre)
de la révolution » ; chaque grève affermit et développe
chez les ouvriers la conscience du fait que le gouvernement
est son ennemi, que la classe ouvrière doit se préparer à
lutter contre lui pour les droits du peuple.
Ainsi donc, les grèves apprennent aux ouvriers à s’unir ;
elles leur montrent que c’est seulement en unissant leurs
efforts qu’ils peuvent lutter contre les capitalistes ; les
grèves apprennent aux ouvriers à penser à la lutte de toute
la classe ouvrière contre toute la classe des fabricants
et contre le gouvernement autocratique, le gouvernement
policier. C’est pour cette raison que les socialistes ap
pellent les grèves « l’école de la guerre », une école où les
ouvriers apprennent à faire la guerre à leurs ennemis,
en vue d’affranchir l’ensemble du peuple et tous les tra
vailleurs du joug des fonctionnaires et du capital.
Mais « l’école de la guerre », ce n’est pas encore la
guerre elle-même. Lorsque les grèves se propagent large
ment parmi les ouvriers, certains d’entre eux (et quelques
socialistes) en viennent à s’imaginer que la classe ou
vrière peut se borner à faire grève, à organiser des cais
ses et des associations pour les grèves, cl que ces derniè
res à elles seules suffisent à la classe ouvrière pour amé
liorer sérieusement sa situation, voire pour réaliser son
émancipation. Voyant la force que représentent l’union
des ouvriers et môme des grèves de faible envergure, cer
tains pensent qu’il suffirait aux ouvriers d’organiser une
grève générale s’étendant à l’ensemble du pays pour ob
tenir des capitalistes et du gouvernement tout ce qu’ils dési
rent. Cette opinion a été également celle des ouvriers d’au
tres pays, alors que le mouvement ouvrier n’en était qu’à
ses débuts et manquait tout à fait d’expérience. Mais
cette opinion est fausse. Les grèves sont un des moyens de
lutte de la classe ouvrière pour son affranchissement, mais
pas le seul ; et si les ouvriers ne portent pas leur attention
sur les autres moyens de lutte, ils ralentiront par là la
croissance et les progrès de la classe ouvrière. En elfet,
pour assurer le succès des grèves, il laut des caisses alin de
faire vivre les ouvriers pendant la durée du mouvement.
Ces caisses, les ouvriers en organisent dans tous les pays
(généralement dans le cadre d’une industrie donnée, d’une
proiession ou d’un atelier) ; mais chez nous, en Russie, la
chose est extrêmement difficile, car la police les traque,
confisque l’argent et emprisonne les ouvriers. 11 va de soi
que les ouvriers savent aussi déjouer la police, que la créa
tion de ces caisses est utile, et nous n’entendons pas la
déconseiller aux ouvriers. Mais on ne peut espérer que
ces caisses ouvrières, interdites par la loi, puissent attirer
beaucoup de membres ; or, avec un nombre restreint
d’adhérents, elles ne seront pas d’une très grande utilité. En
suite, même dans les pays où les associations ouvrières
sont libres et disposent de fonds très importants, même
dans ces pays la classe ouvrière ne saurait se borner à lutter
uniquement par des grèves. Il suffit d’un arrêt des affaires
dans l’industrie (d’une crise comme celle qui se dessine
actuellement en Russie) pour que les fabricants provoquent
eux-mêmes des grèves, parce qu’ils ont parfois intérêt
à faire cesser momentanément le travail, à ruiner les cais
ses ouvrières. Aussi les ouvriers ne peuvent-ils pas se borner
exclusivement aux grèves et aux formes d’organisation qu’elles
impliquent. En second lieu, les grèves n’aboutissent que là
où les ouvriers sont déjà assez conscients, où ils savent
choisir le moment propice, formuler leurs revendications, où
ils sont en liaison avec les socialistes pour se procurer ainsi
des tracts et des brochures. Or, ces ouvriers sont encore
peu nombreux en Russie, et il est indispensable de tout
faire pour en augmenter le nombre, pour initier la masse des
ouvriers à la cause ouvrière, pour les initier au socialisme
et à la lutte ouvrière. Cette tâche doit être assumée en
commun par les socialistes et les ouvriers conscients, qui
formeront à cet elfet un parti ouvrier socialiste. En troisiè
me lieu, les grèves montrent aux ouvriers, comme nous
l’avons vu, que le gouvernement est leur ennemi, qu’il
faut lutter contre lui. Et, dans tous les pays, les grèves
ont en effet appris progressivement à la classe ouvrière
à lutter contre les gouvernements pour les droits des ou-