Volume 04 pages 322-323
il marchande toujours avec le patron, il est aux prises avec
lui au sujet de son salaire.
Mais l’ouvrier isolé peut-il soutenir cette lutte ? Le
nombre des ouvriers s’accroît sans cesse : les paysans
ruinés désertent les campagnes et luient vers les villes
et vers les fabriques. Les grands propriétaires fonciers
et les fabricants introduisent des machines, qui enlèvent
le travail aux ouvriers. Les chômeurs se multiplient dans
les villes et les mendiants dans les campagnes ; les affa
més font de plus en plus baisser les salaires. L’ouvrier
isolé n’est plus à même de lutter contre le patron. Ré
clame-t-il un bon salaire ou refuse-t-il d’accepter une
réduction de sa paie, le patron lui répond : va-t’en d’i
ci, il ne manque pas d’affamés à ma porte, qui seront trop
heureux de travailler meme pour un bas salaire.
Quand la misère publique en arrive au point que dans
les villes et dans les campagnes il y a en permanence des
quantités de chômeurs, que les fabricants amassent d’im
menses richesses et que les petits patrons sont évincés par
les millionnaires, alors l’ouvrier isolé se trouve com
plètement désarmé devant le capitaliste. Celui-ci peut l’é
craser tout à fait, l’éreinter jusqu’à ce que mort s’ensuive
par un travail de forçat, et pas seulement lui, mais aussi
sa femme et ses entants. En effet, prenez les branches de
production où les ouvriers n’ont pas encore obtenu la pro
tection de la loi et où ils ne peuvent opposer de résistance
aux capitalistes : vous y verrez une journée do travail dé
mesurément longue, qui va jusqu’à 17 et 19 heures ; vous
y verrez des entants de 5 à 6 ans s’épuisant à la tâche ;
vous y verrez une génération d’ouvriers constamment af
famés et mourant peu à peu d’inanition. Exemple : les ou
vriers qui travaillent à domicile pour le compte des capita
listes ; du reste, tout ouvrier évoquera encore quantité
d’autres exemples ! Même à l’époque de l’esclavage et du
servage, les travailleurs n’ont jamais connu l’effrayante
oppression que font peser les capitalistes sur ceux des
ouvriers qui se montrent incapables de leur opposer
une résistance et d’arracher des lois limitant l’arbitraire
patronal.
C’est pour ne pas se laisser réduire à cette extrémité
que les ouvriers engagent une lutte farouche. Voyant qu’en
agissant isolément, chacun d’eux est complètement désar
mé et risque de succomber sous le joug du capital, ils en
viennent à se dresser d’un commun accord contre leurs
patrons. Des grèves ouvrières éclatent. Il arrive souvent
qu’au début les ouvriers ne savent meme pas ce qu’ils
veulent, qu’ils ne se rendent pas compte de ce qui les lait
agir ainsi : ils brisent les machines, sans plus, ou détrui
sent les fabriques. Ils veulent seulement faire sentir aux
fabricants qu’ils sont révoltés ; ils font l’essai de leurs
forces conjuguées pour sortir d’une situation intolérable,
sans savoir encore au juste pourquoi leur situation est si
désespérée et vers quoi ils doivent orienter leurs efforts.
Dans tous les pays, l’indignation ouvrière s’est mani
festée à l’origine par des soulèvements isolés, des émeutes,
pour employer le langage de la police et des fabricants
de chez nous. Dans tous les pays, ces soulèvements isolés
ont engendré, d’une part, des grèves plus ou moins pacifi
ques, et, d’autre part, une lutte générale de la classe ou
vrière pour son émancipation.
Quel est le rôle des grèves (ou débrayages) dans la
lutte de la classe ouvrière ? Pour répondre à cette question,
nous devons d’abord nous arrêter un peu plus longue
ment sur les grèves. Si, comme nous l’avons vu, le sa
laire de l’ouvrier est déterminé par un contrat entre celui
ci et le patron, et si, en l’occurrence, l’ouvrier isolé se
trouve complètement désarmé, il est évident que les ou
vriers doivent nécessairement soutenir en commun leurs
revendications, qu’ils doivent nécessairement organiser
des grèves pour empêcher les patrons de réduire les salaires
ou pour obtenir un salaire plus élevé. Et en effet, il n’est
pas un seul pays à régime capitaliste où il n’y ait des grè
ves ouvrières. Dans tous les pays d’Europe et en Améri
que, les ouvriers se sentent partout désarmés quand ils
agissent isolément, et ils ne peuvent résister au patronat
qu’en agissant d’un commun accord, soit en faisant grève,
soit en eu agitant la menace. Plus le capitalisme se déve
loppe, plus les grandes usines et fabriques se multiplient,
plus les petits capitalistes sont délibérément évincés par
les grands, et plus devient impérieuse la nécessité d’une
résistance commune des ouvriers. Car le chômage s’ag
grave, la concurrence devient plus âpre entre les capita
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