Volume 04 pages 318-319
claire, et il importe éminemment que les ouvriers la connais
sent, parce que cet exemple leur permettra de comprendre
toute la politique du gouvernement russe à l’égard de la
classe ouvrière.
Si, au lieu d’instituer des conseils de prud’hommes,
le gouvernement a nommé de nouveaux lonctionnaires,
c’est parce que les conseils de prud’hommes auraient élevé
la conscience des ouvriers, les auraient rendus plus cons
cients de leurs droits, de leur dignité d’hommes et de ci
toyens, leur auraient appris à rélléchir par eux-mêmes aux
allaires publiques et aux intérêts de toute la classe ouvrière,
leur auraient appris à élire leurs camarades plus avancés
aux postes de représentants ouvriers, et auraient ainsi,
jusqu’à un certain point, mis un irein à l’arbitraire absolu
des lonctionnaires despotes. Or, c’est ce que notre gouver
nement redoute par-dessus tout. Il veut bien aller jusqu’à
distribuer aux ouvriers quelques aumônes (de peu d’impor
tance, évidemment, et en s’arrangeant pour les donner
solennellement d’une main, aux yeux de tous, ai in de se
poser en bienlaiteur, et pour les reprendre peu à peu, en
catimini, de l’autre main ! Les ouvriers ont déjà eu un exem
ple de ce subterluge avec la loi ouvrière du 2 juin 1897 !) ;
il est disposé à distribuer quelques aumônes à condition de
maintenir intact le despotisme des lonctionnaires et de ne
pas laisser s’éveiller la conscience de classe des ouvriers,
d’empêcher leur indépendance de se développer. Le gouverne
ment échappe sans peine à ce danger qui l’épouvante en
nommant de nouveaux lonctionnaires : les lonctionnaires
sont ses valets dociles. 11 ne coûte rien d’interdire aux
fonctionnaires (par exemple, aux inspecteurs de labrique)
de publier leurs comptes rendus ; il ne coûte rien de leur
interdire de parler aux ouvriers de leurs droits et des abus
des patrons ; il ne coûte rien de les translormer en argousins
de labrique en leur enjoignant d’inlormer la police de tout
mécontentement et de toute ellervescence parmi les ouvriers.
Aussi, tant que subsistera en Russie le régime politi
que actuel, c’est-à-dire l’absence de droits pour le peuple,
l’arbitraire des lonctionnaires et de la police non respon
sables devant le peuple, les ouvriers ne peuvent espérer
voir créer les conseils de prud’hommes qui leur seraient
si utiles. Le gouvernement comprend fort bien que les
conseils de prud’hommes feraient très rapidement passer
les ouvriers à des revendications plus radicales. En éli
sant leurs représentants aux conseils de prud’hommes, les
ouvriers constateraient très vite que cela ne suliit pas,
car les grands propriétaires fonciers et les fabricants qui
exploitent les ouvriers envoient leurs représentants dans
de très nombreuses institutions d’Etat beaucoup plus
haut placées ; les ouvriers ne manqueraient pas d’exiger
une représentation nationale. Ayant obtenu la publicité
des affaires de fabrique et des besoins des ouvriers dans les
conseils de prud’hommes, les ouvriers constateraient très
vite que cela ne suffit pas, car, de nos jours, seuls les
journaux et les réunions publiques peuvent assurer une
publicité réelle ; et les ouvriers réclameraient la liber
té de réunion, la liberté de la parole et de la presse. Et
voilà pourquoi le gouvernement a enterré le projet tendant
à instituer des conseils de prud'hommes en Russie !
D’autre part, admettons un instant que le gouvernement,
voulant duper les ouvriers, institue dès maintenant, à
dessein, des conseils de prud’hommes, tout en conservant
intact le régime politique existant. Cette mesure profite
rait-elle aux ouvriers ? Pas le moins du monde : les ouvriers
eux-mêmes n’accepteraient pas d’élire à ces conseils leurs
camarades les plus conscients, les plus honnêtes et les plus
dévoués à la cause ouvrière, car ils savent que, pour toute
parole franche et honnête, on peut en Russie appréhender
un homme sur un simple ordre de la police, et, sans juge
ment ni enquête, le jeter en prison ou le déporter en Sibérie !
Donc, la revendication de conseils de prud’hommes com
prenant des représentants élus par les ouvriers n’est qu’une
parcelle d’une revendication beaucoup plus large et plus
radicale : la revendication de droits politiques pour le peu
ple, c’est-à-dire le droit de participer à la direction des
affaires publiques et de faire connaître ouvertement les
besoins populaires non seulement dans des journaux, mais
aussi dans des réunions publiques.
Rédigé fin 1899
Publié pour la première fois en 1924
dans le rf 8-9 de la reçue « Prolélarshaïa
Réuolulsia •
Conforme au manuscrit, recopié par
une main inconnue