Volume 04 pages 316-317
ment la création de conseils de prud’hommes, exigent que
ces conseils existent non seulement à l’intention des ou
vriers d’usine (chez les Allemands et les Français ces con
seils existent déjà), mais aussi à l’intention des ouvriers
travaillant à domicile pour le compte de capitalistes (des
artisans) et des ouvriers agricoles. Aucun fonctionnaire
nommé par le gouvernement (ni les juges, ni les inspecteurs
de fabrique') ne pourra jamais remplacer ces institutions où
participeraient les ouvriers eux-mêmes : inutile de nous
étendre là-dessus après tout ce qui a été dit plus haut. D’ail
leurs, tout ouvrier sait par sa propre expérience ce qu’il
peut attendre des fonctionnaires ; tout ouvrier comprendra
fort bien que si on lui dit que des fonctionnaires sauront
le défendre tout aussi bien que des délégués élus par les
ouvriers eux-mêmes, c’est un mensonge pur et simple. Ce
mensonge est très avantageux pour le gouvernement, qui
veut que les ouvriers restent des esclaves des capitalistes,
des esclaves ignorants, privés do tous droits et réduits
au silence. C’est bien pourquoi on entend si souvent ces
assertions mensongères émanant de fonctionnaires ou d’é
crivains qui se font les avocats des fabricants et du gou
vernement.
La nécessité et l’utilité des conseils de prud’hommes
pour les ouvriers sont évidentes au point que les fonction
naires russes eux-mêmes les ont depuis longtemps reconnues.
A vrai dire, cela remonte si loin que beaucoup l’ont oublié l
C’était lorsque nos paysans ont été affranchis par l’abo
lition du servage (en 1861, il y a plus de 38 ans). Vers
la même époque, le gouvernement russe décida de remplacer
par de nouveaux textes les lois relatives aux artisans et
aux ouvriers d’usine : il était désormais trop évident
qu'après l’affranchissement des paysans, on no pouvait
plus laisser subsister les anciennes lois ouvrières ; à l’épo
que où elles avaient été élaborées, beaucoup d’ouvriers
étaient encore des serfs. Et le gouvernement désigna une
commission de plusieurs fonctionnaires, chargés d’étudier
les lois d’Allemagne et de France (ainsi que d’autres pays)
sur les ouvriers d’industrie et d’élaborer un projet de mo
dification des lois russes sur ces ouvriers et sur les arti
sans. De très hauts personnages faisaient partie de cette
commission. Ils se mirent cependant au travail et ne publie-
rent pas moins de cinq volumes où ils exposèrent les lois
des pays étrangers et proposèrent une nouvelle législation
pour la Russie. La loi proposée par la commission pré
voyait U institution de conseils de prud'hommes avec des juges
élus pour une moitié par les fabricants et pour l'autre par les
ouvriers. Ce projet a été publié en 1865, c’est-à-dire il y a
34 ans. Et qu’a-t-on lait de ce projet ? demandera l’ouvrier.
Pourquoi le gouvernement, qui avait lui-même chargé ces
fonctionnaires de présenter un projet en vue des modifica
tions nécessaires, n’a-t-il pas institué en Russie de con
seils de prud’hommes ?
Notre gouvernement s’est comporté à l’égard du projet
de cette commission comme il le fait toujours à l’égard
de tous les autres projets tant soit peu utiles au peuple
et aux ouvriers. Il a rémunéré le travail accompli par les
fonctionnaires pour le tsar et la patrie ; il leur a accro
ché des décorations, leur a donné de l’avancement et les
a nommés à des postes plus lucratifs. Quant au projet
qu’ils avaient établi, il l’a tranquillement enloui dans
les tiroirs, comme on dit dans les bureaux. Il y est en
core aujourd’hui. Le gouvernement a complètement en
terré l’idée qu’il faudrait accorder aux ouvriers le droit
d’élire leurs propres délégués ouvriers aux conseils de
prud’hommes.
Cependant, on ne saurait dire que depuis ce temps-là
le gouvernement n’a pas pensé une seule fois aux ouvriers.
A vrai dire, ce n’est pas de son plein gré qu’il s’est sou
venu d’eux, mais uniquement sous la pression de grèves et
de troubles menaçants ; mais enfin il a quand même pensé
à eux. 11 a édicté des lois interdisant le travail des en
fants dans les fabriques, le travail de nuit pour les femmes
dans certaines branches de production, des lois réduisant
la journée de travail, instituant des inspecteurs de fa
brique. Si procédurières que soient ces lois, si nombreuses
que soient les échappatoires laissées aux fabricants dési
reux de violer ou de tourner ces lois, elles n’en sont pas
moins d’une certaine utilité. Mais alors pourquoi, au lieu
d’instituer les conseils de prud’hommes prévus par une loi
déjà complètement élaborée, le gouvernement a-t-il préféré
introduire de nouvelles lois et créer de nouveaux fonction
naires : les inspecteurs de fabrique ? La raison en est très