Volume 04 pages 310-311
nettoyer une fois de plus une machine, ou autres faits ana
logues) ; mais pour l’ouvrier, ce ne sont pas du tout des
détails. Seuls les ouvriers eux-mêmes peuvent juger de la
masse de vexations, d’avanies et d’humiliations causées
parfois dans les fabriques par des règles et dispositions de
détail, à première vue absolument insignifiantes et anodines.
Le troisième avantage des conseils de prud’hommes pour
les ouvriers est qu’en y participant, et par leur intermédiai
re, les ouvriers apprennent à connaître les lois. Généralement,
les ouvriers (dans leur masse) ignorent les lois et ne peuvent
pas les connaître, ce qui n’empêche pas les bureaucrates et
les juges fonctionnaires de les punir pour cette ignorance des
lois. Si un ouvrier, entendant invoquer une loi par un fonc
tionnaire, répond qu’il l’ignorait, le fonctionnaire (ou
le juge) lui rira au nez ou le rabrouera : « Nul n’est
censé ignorer la loi», — voilà ce que dit le code russe.
Chaque fonctionnaire et chaque juge suppose donc que
tout ouvrier connaît les lois. Mais cette supposition est
un mensonge bourgeois, un mensonge inventé par les clas
ses possédantes et par les capitalistes contre les non-possé
dants, le même mensonge que l’hypothèse suivant laquelle
l’ouvrier conclut avec le patron un « contrat libre ». La
vérité est que l’ouvrier qui va travailler à l’usine dès son
jeune âge, ayant à peine appris à lire et à écrire (et nom
breux sont ceux qui ne peuvent même pas apprendre à lire
et à écrire !), n’a pas le temps d’étudier les lois ni personne
pour les lui faire connaître, ce qui serait d’ailleurs à peu
près inutile, —car les lois étant appliquées sans qu’on
lui demande son avis, par des fonctionnaires issus de la
bourgeoisie, la connaissance des lois ne lui donnera pas
grand-chose ! Les classes bourgeoises qui accusent les
ouvriers d’ignorer les lois n’ont absolument rien fait pour
faciliter aux ouvriers l’acquisition de cette connaissance,
et c’est pourquoi les vrais responsables de l’ignorance
des lois par les ouvriers sont moins ces derniers que leurs
exploiteurs (=spoliateurs), qui détiennent tous les biens,
vivent du travail des autres et veulent profiter seuls de
l’instruction et de la science. Aucune école et aucun livre
ne donnera et ne peut donner aux ouvriers la connaissance
des lois, car parmi les millions de travailleurs écrasés par
le capital, bien rares sont ceux qui ont la possibilité de li-
re des livres ; pour la même raison, bien peu suivent l’école,
et ceux-là même qui le lont savent seulement lire, écrire et
compter, ce qui est insutiisant pour s’orienter dans un do
maine aussi dillicile et compliqué que celui des lois russes.
Les ouvriers ne peuvent connaître les lois que lorsqu’ils
sont amenés à les appliquer eux-mêmes, à entendre et voir
prononcer des jugements d’après ces lois. Les ouvriers pour
raient mieux connaître les lois si, par exemple, ils étaient
désignés comme jurés (les patrons étant tenus de payer aux
ouvriers leur salaire habituel pendant les jours que ceux-ci
passeraient au tribunal), mais la société bourgeoise est
organisée de façon que seuls peuvent être jurés des membres
de la classe possédante (ou encore des paysans dressés dans
les «services publics », c’est-à-dire en lait dans lesservices
policiers subalternes) ; quant aux non-possédants, les pro
létaires, ils sont tenus do se soumettre uniquement aux
sentences d’un tribunal qui leur est étranger, sans avoir
le droit de juger eux-mêmes ! Lorsqu’on constitue des
conseils do prud’hommes, les ouvriers élisent eux-mêmes
pour juges leurs camarades, et ces élections se renouvellent
après un laps de temps déterminé ; ainsi, les élus ouvriers
appliquent eux-mêmes les lois et ont la possibilité d’ap
prendre à les connaître dans la pratique, c’est-à-dire non
seulement de lire ce qui est écrit dans le code (ce qui est
encore loin do signifier qu’on connaisse les lois), mais de
se rendre aussi pratiquement compte des cas où s’appli
quent telles ou telles lois, de la iaçon dont elles s’appli
quent et des conséquences qui en découlent pour les ou
vriers. Ensuite, outre les juges élus, les autres ouvriers se
familiarisent sans trop de peine avec les lois lorsqu’il existe
des conseils de prud’hommes, car un ouvrier peut toujours
s’entretenir facilement avec des juges élus parmi ses ca
marades et en obtenir les renseignements voulus. Le conseil
de prud’hommes étant plus accessible aux ouvriers qu’un
tribunal formé de fonctionnaires, les ouvriers le fréquentent
beaucoup plus souvent, assistent à l’examen des affaires
concernant leurs parents et les personnes de leur connais
sance et apprennent ainsi à connaître les lois. Or, pour
l’ouvrier, il importe infiniment de se familiariser avec les
lois, non seulement par les livres, mais dans la vie elle
même, afin de pouvoir comprendre dans l’intérêt de qui