☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 298-299

mocrate révolutionnaire, oublier tout cela et reconnaître
qu’il est impossible d’appeler les masses ouvrières à l’action
politique ! On nous répliquera peut-être que, souvent, les
faits cités sont plutôt des explosions spontanées que de la
lutte politique. Mais nos grèves, répondrons-nous, n’ont
elles pas été de simples explosions spontanées jusqu’au
moment où les cercles révolutionnaires des socialistes ont
entrepris un large travail d’agitation, ont appelé les mas
ses ouvrières à la lutte de classe, à la lutte consciente con
tre leurs oppresseurs ? Peut-on indiquer dans l’histoire un
seul mouvement populaire, un seul mouvement de classe,
qui n’ait pas commencé par des explosions, non organisées,
spontanées, qui ait pris une forme organisée et créé des
partis politiques sans l’intervention consciente des repré
sentants intellectuels de cette classe ? Si l’irrésistible at
trait spontané de la classe ouvrière vers la lutte politique
ne se manifeste le plus souvent, jusqu’à présent, qu’à tra
vers des explosions non organisées, seuls les Moskovskié
Viédomosti 107 et le Grajdanine103 en déduiront que l’ou
vrier russe n’est pas encore mûr, dans sa masse, pour l’agi
tation politique. Un socialiste, par contre, en déduira que,
depuis très longtemps déjà, a mûri la nécessité d’une agi
tation politique, de l’appel le plus largo possible aux mas
ses ouvrières pour l’action politique et la lutte politique ;
si nous ne lançons pas cet appel, nous no remplissons pas
notre devoir et nous cessons, au fond, d’ôtro des social-dé
mocrates, parce que les organisations économiques et
syndicales ne pratiquant pas la lutte politique ont tou
jours et partout été prônées par les partisans frénétiques
de la bourgeoisie ; aussi no peut-on qualifier autrement
que de criminelle et d’infâme cette façon systématique de
rester muet sur la lutte politique et les tâches politiques
de la classe ouvrière russe, qui est le fait, par exemple, du
journal Rabotchaïa Mysl. Ce mutisme revient à corrompre
la conscience politique des ouvriers qui voient et qui res
sentent l’oppression politique, se soulèvent spontanément
contre elle et ne rencontrent auprès de leurs dirigeants
socialistes que de l’indifférence, ou même une polémique
contre l’idée de la lutte politique. On ne peut s’empêcher
de parler d’indifférence et d’une extrême étroitesse d’esprit
quand on nous dit que les idées do liberté politique doivent

être introduites dans la masse « graduellement », — nous
nous serions donc jusqu’à présent trop hâtés d’introduire ces
idées dans la masse, et il faudrait nous modérer et nous
retenir !!! Ou quand on nous dit qu’il faut « éclairer po
litiquement'la situation de la classe ouvrière », mais seu
lement « dans la mesure où il existe pour ce faire un motif
dans chaque cas particulier », comme si les « motifs » d’agi
tation politique ne nous étaient pas fournis par les faits
les plus quotidiens, par les faits multiples et constants de
la vie des ouvriers ? !

Ou bien la tendance à subordonner l’agitation politique
à l’existence de motifs dans chaque cas particulier n’a
aucun sens, ou bien elle traduit seulement une tendance
à reculer d’un pas dans la direction du « Credo » et de la
Rabotchaïa Mysl, une tendance à rétrécir le cadre déjà
trop étroit de notre activité de propagande et d’agitation.

On nous rétorquera peut-être aussi que les masses ouvrières
ne sont pas encore aptes à comprendre l’idée de la lutte
politique, qui ne serait accessible qu’à certains ouvriers
plus évolués. A cetto objection, que nous entendons si fré
quemment énoncer par des « jeunes » social-démocrates
russes, nous répondrons que d’abord la social-démocratie a
toujours et partout représenté et ne peut représenter que les
ouvriers conscients, et non ceux dont la conscience n’est
pas éveillée, qu’il ne peut rien y avoir de plus dangereux
et de plus criminel que do spéculer démagogiquement sur
le manque de maturité des ouvriers. Si nous prenons comme
critère de l’activité à exercer ce qui est, dès à présent, le
plus directement accessible à la grande masse, il nous fau
dra prêcher l’antisémitisme ou axer notre agitation, di
sons, sur un appel au père Jean de Cronstadt 109.

La tâche de la social-démocratie est de développer la
conscience politique des masses, et non de se traîner à
la remorque d’une masse politiquement asservie ; en second
lieu, et c’est là l’essentiel, il est faux de dire que les mas
ses ne comprendront pas l’idée de la lutte politique. L’ou
vrier le plus fruste la comprendra, à condition, bien enten
du, que l’agitateur ou le propagandiste sache l’aborder
de façon à lui communiquer cette idée, à la lui présenter
dans un langage intelligible et en s’appuyant sur des faits
de la vie quotidienne familiers à son interlocuteur. Mais