Volume 04 pages 300-301
il faut bien se dire que cette condition est indispensable
également pour rendre intelligible la lutte économique :
dans ce domaine aussi l’ouvrier non averti, appartenant
aux couches inférieures et moyennes de la masse, n’est
pas en mesure de s’assimiler l’idée générale de la lutte
économique ; cette idée est assimilée par un petit nombre
d’ouvriers cultivés à qui la masse emboîte le pas, en se
laissant guider par son instinct et son intérêt le plus proche,
le plus immédiat.
Il en va de même dans le domaine de la politique :
l’idée générale de la lutte politique ne sera évidemment
assimilée que par l’ouvrier cultivé, à qui la masse emboî
tera le pas, car elle se rend parfaitement compte de son as
servissement politique (comme le reconnaît dans un passage
la Profession de foi du Comité de Kiev), et scs intérêts
quotidiens les plus immédiats la font constamment se heur
ter à toutes sortes de manifestations de l’oppression po
litique. Dans aucun mouvement politique ou social, dans
aucun pays, il n’y a jamais eu et il ne peut y avoir d’autre
rapport que le suivant entre la masse d’une classe donnée
ou d’un peuple et ses peu nombreux représentants cultivés :
en tous temps et en tous lieux, une classe déterminée a
pour guides ses représentants d’avant-garde, ses représen
tants les plus cultivés. Il ne saurait en être autrement dans
le mouvement ouvrier russe. C’est pourquoi la tendance
à vouloir méconnaître les intérêts et les besoins de cette
couche avancée des ouvriers, à vouloir s'abaisser jusqu’au
niveau de compréhension des couches inférieures (au lieu
d'élever constamment le niveau de conscience des ouvriers),
doit nécessairement avoir des effets profondément nuisi
bles et faciliter la pénétration dans le milieu ouvrier de
toutes sortes d’idées qui n’ont rien de socialiste ni de ré
volutionnaire.
Pour en finir avec l’examen des conceptions du Comité
de Kiev sur la lutte politique, [j’ajouterai ce qui suit].
Chose très étrange et en même temps des plus caractéristi
ques pour toute la Profession de foi : le Comité, estimant
impossible d’appeler actuellement la grande masse des
ouvriers à l’action politique, considère comme souhaitable
d’organiser des manifestations partielles qui ne tendraient
qu’à des fins d’agitation (sans viser à exercer une action
sur lo gouvernement), et dont les motifs seraient acces
sibles à la compréhension de la grande masse. Les socialis
tes invitent les ouvriers à ne pas exercer d’action sur le
gouvernement !!! Après cela, on peut tirer l’échelle...
On ne voit pas cependant comment il est possible d’organi
ser des manifestations qui n’exerceraient pas d’action sur
le gouvernement. Ne va-t-on pas recommander aux ouvriers
de manifester entre les quatre murs de leurs taudis, après
s’être au préalable enfermés à double tour ? ou peut-être
de manifester en esquissant un pied-de-nez les mains au
fond des poches ? Voilà qui n’exercera à coup sûr aucune
« action sur le gouvernement » susceptible d’effets aussi
pernicieux que funestes ! Nous renonçons également à com
prendre ce que signifie une « manifestation partielle ».
Cela veut-il dire corporative, limitée à des questions cor
poratives (encore une lois, que vient faire là le socialisme ?),
ou bien peut-être inspirée par des motifs politiques par
tiels, et non pas dirigée contre tout le système politique,
contre l’autocratie en général ? Mais s’il en est ainsi, ne
sont-ce pas là très exactement les idées du « Credo » et du
pire opportunisme, du pire avilissement et obscurcisse
ment de la conscience politique et des objectifs politiques
de la classe ouvrière ? S’il en est ainsi, ne devons-nous
pas aller jusqu’à reprendre lo « mot à l’emporte-pièce »
d’un « jeune » social-démocrate de la capitale : « Il est
prématuré de discréditer l’autocratie aux yeux des
ouvriers » ?...
Ce n’est pas seulement à propos de la « politique » que
la Profession de foi laisse apparaître une extrême étroi
tesse de vues. « L’agitation exercée auprès de la masse,
y lisons-nous, ne peut actuellement s’exprimer, en premier
lieu, que par un concours apporté à la lutte économique du
prolétariat ; c’est pourquoi le Comité utilise chaque con
flit des ouvriers avec les patrons, ou chaque abus important
de la part des patrons, pour adresser aux ouvriers une pro
clamation expliquant aux ouvriers leur situation, en les
appelant à protester, en jouant un rôle dirigeant dans les
grèves, en formulant leurs revendications, en indiquant la
meilleure façon de les faire aboutir, on développant par tous
ces moyens la conscience de classe des ouvriers » et — c’est
tout, on ne nous dit plus rien de la lutte économique. Et