Volume 04 pages 286-287
lions et le nouveau programme qu’ils mettent à la place
des anciens.
11 nous reste à examiner encore une question, peut
être la plus importante : comment expliquer l’apparition
de cette orientation rétrograde dans la social-démocratie
russe ? Les qualités personnelles des rédacteurs de la Ra
botchdia Mysl, l’influence de la bernsteiniade en vogue ne
sont pas, selon nous, une explication suffisante. A notre
avis, cela tient surtout à une particularité dans le dévelop
pement historique de la social-démocratie russe, particu
larité qui a engendré —et qui devait temporairement en
gendrer — une conception étroite du socialisme ouvrier.
Dans les années 80 et au début des années 90, époque
où les social-démocrates ont commencé à militer pratique
ment en Russie, ils se sont trouvés en présence, première
ment, des adeptes de la « Narodnaïa Volia », qui leur repro
chaient de se telnir à l’écart de la lutte politique léguée
par le mouvement révolutionnaire russe, et contre lesquels
les social-démocrates polémisaient opiniâtrement; et, en se
cond lieu, de la société libérale russe, également mécon
tente de voir le mouvement révolutionnaire passer de la
« Narodnaïa Volia » à la social-démocratie. La polémique
avec les uns et les autres tournait autour de la question politi
que. Combattant la conception étroite des adeptes de la « Narod
naïa Volia», pour qui la politique se réduisait à l’organi
sation de complots, les social-démocrates pouvaient être
amenés à se prononcer et se sont parfois prononcés contre
la politique en général (étant donné la conception étroite
qui prévalait en cette matière). D’autre part, dans les sa
lons libéraux et radicaux de la « société » bourgeoise, les
social-démocrates pouvaient souvent entendre expri
mer le regret que les révolutionnaires aient renoncé à la
terreur : ceux qui tremblaient le plus pour leur peau et
n’avaient pas, au moment décisif, soutenu les héros qui
portaient des coups à l’autocratie, accusaient hypocrite
ment les social-démocrates d’indifférentisme politique et
souhaitaient ardemment voir renaître un parti qui tirerait
pour eux les marrons du feu. Il est tout naturel que les
social-démocrates aient pris en haine ces gens et leurs phra
séologie et se soient confinés dans une tâche plus terre à
terre, mais par contre plus sérieuse : le travail de propa-
gande parmi le prolétariat des fabriques et des usines. Au
début, cette activité devait nécessairement revêtir un
caractère étroit, qui s’est d’ailleurs reilété dans les décla
rations entachées d’étroitesse de certains social-démocra
tes. Cependant, même ceux dessocial-démocrates qui n’a
vaient nullement oublié les vastes objectifs historiques
du mouvement ouvrier russe ne se laissaient pas eiirayer
par cette étroitesse. Qu’importe que les paroles des social
démocrates soient parfois étroites : en revanche, leur œu
vre est large. En revanche, ils ne fomentent pas de complots
inutiles et ne se commettent pas avec les Balalaïkine106
du libéralisme bourgeois, mais vont militer dans la seule
classe véritablement révolutionnaire et contribuent à déve
lopper ses forces ! Au fur et à mesure que s’étendra la pro
pagande social-démocrate, pensaient-ils, cette étroitesse dis
paraîtra d’ellc-même. Et c’est ce qui s’est passé, dans une
grande mesure. De la propagande on passa progressivement
à un vaste travail d’agitation. Celui-ci forma tout natu
rellement un contingent sans cesse croissant d’ouvriers cons
cients et avancés ; des organisations révolutionnai
res se fondèrent (les « Unions de lutte » de Saint-Péters
bourg, do Kiev et d’ailleurs, l’Union ouvrière juive).
Ces organisations, bien entendu, aspiraient à fusionner, et
elles finirent par y parvenir : elles s’unirent et jetèrent
les fondements du « Parti ouvrier social-démocrate de Rus
sie ». On pouvait penser qu’il ne restait plus aucune place
pour l’étroitesse d’autrefois, et qu’elle serait définitivement
rejetée. Mais il on fut autrement : l’extension du travail
d’agitation mit les social-démocrates en contact avec les
couches inférieures, les moins développées, du prolétariat ;
pour gagner ces couches, l’agitateur devait savoir s’adapter au
niveau intellectuel le plus bas ; il s’habituait à mettre au pre
mier plan les « revendications et les intérêts du moment» et à
refouler à l’arrière-plan les vastes idéals du socialisme et de
la lutte politique. Le caractère morcelé, artisanal, de l’acti
vité social-démocrate, la liaison extrêmement faible en
tre les cercles d’étude des différentes villes, entre les social
démocrates russes et leurs camarades de l’étranger qui pos
sédaient des connaissances plus étendues, une plus riche
expérience révolutionnaire et un horizon politique plus
vaste, eurent tout naturellement pour effet d’hypertrophier