☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 288-289

cet aspect (absolument indispensable') de l’activité social
démocrate, qui a pu, dans l’esprit de certains individus,
faire oublier les autres aspects, d’autant plus qu’à chaque
revers les ouvriers et les intellectuels les plus conscients
étaient arrachés des rangs de l’armée combattante et
qu’il ne s’était pas encore élaboré une solide tradition
révolutionnaire et une ligne sans solution de continuité.

C’est dans cette hypertrophie d’un des aspects du travail
social-démocrate que nous voyons la raison principale du
triste reniement des idéals de la social-démocratie russe.

Ajoutez à cela l’engouement pour un livre à la mode,
l’ignorance de l’histoire du mouvement révolutionnaire rus
se et une prétention puérile à l’originalité, et vous aurez
tous les éléments constitutifs de l’« orientation rétrograde
dans la social-démocratie russe ».

Ainsi, nous devons nous arrêter plus longuement sur le
rapport entre les couches avancées du prolétariat et ses
couches intérieures, et sur l’importance du travail social-dé
mocrate dans les unes et dans les autres.

L’histoire du mouvement ouvrier de tous les pays montre
que les couches ouvrières les plus cultivées s’assimilent
le plus rapidement et le plus facilement les idées du socia
lisme. C’est là surtout que se recrutent les ouvriers d’avant
garde portés au premier plan par tout mouvement ouvrier ;
ils savent gagner l’entière confiance des masses ouvrières,
se consacrent sans réserve à l’éducation et à l’organisation
du prolétariat, adhèrent au socialisme à bon escient ; ils
ont été jusqu’à élaborer eux-mêmes des théories socialistes.

Tout mouvement ouvrier viable a formé de tels chefs ou
vriers, a eu ses Proudhon et ses Wailiant, ses Weitling et
ses Bebel. Et notre mouvement ouvrier russe promet de
ne pas se laisser distancer, à cet égard, par le mouvement
ouvrier européen. Tandis que la société cultivée perd tout
intérêt pour la littérature honnête illégale, on voit croître
parmi les ouvriers une soif ardente de connaître, un élan
vers le socialisme ; il apparaît dans leurs rangs de véri
tables héros qui, malgré d’affreuses conditions d’existence
et un travail de forçat abrutissant .à la fabrique, trou
vent en eux-mêmes assez de caractère et de force de volonté
pour apprendre, apprendre et apprendre encore, et faire
leur éducation de social-démocrates conscients, d’« Intel-

lectuels ouvriers ». Ces « intellectuels ouvriers » existent
déjà en Russie, et nous devons tout faire pour élargir sans
cesse leurs rangs, pour que leurs besoins intellectuels élevés
soient entièrement satisfaits, pour que de leur milieu sor
tent des dirigeants du Parti ouvrier social-démocrate russe.

Aussi le journal qui voudrait devenir l’organe de tous les
social-démocrates russes doit-il se tenir au niveau des ou
vriers avancés ; loin de rabaisser artificiellement son propre
niveau, il devra au contraire l’élever constamment, se te
nir au fait de tous les problèmes tactiques, politiques et
théoriques de la social-démocratie internationale. C’est
à cette seule condition que les besoins des intellectuels ou
vriers seront satisfaits et qu’ils prendront eux-mêmes en
main la cause des ouvriers russes et, parlant, ]a cause de
la révolution russe.

Après la couche peu nombreuse des ouvriers avancés
vient une large couche d’ouvriers moyens. Ces ouvriers
aussi aspirent ardemment au socialisme, prennent part
aux cercles ouvriers, lisent les journaux et les livres socia
listes, participent au travail d’agitation ; le seul trait qui
les distingue de la couche précédente est qu’ils ne peuvent
pas devenir de leur propre chef des dirigeants pleinement
qualifiés du mouvement ouvrier social-démocrate. Dans
un journal qui serait l’organe du Parti, il y aura des arti
cles que l'ouvrier moyen ne comprendra pas, ou des questions
théoriques et pratiques complexes qu’il ne saisira pas com
plètement. Il ne s’ensuit nullement que le journal doive
s’abaisser jusqu’au niveau de la masse de ses lecteurs.

Au contraire, il se doit précisément d’élever leur niveau et
de contribuer à former, dans la couche des ouvriers moyens,
des ouvriers d’avant-garde. Absorbés par l’activité pratique
locale, s’intéressant par-dessus tout à la chronique du mou
vement ouvrier et aux questions immédiates relevant de
l’agitation, ces ouvriers doivent rattacher à chacun de
leurs actes l’idée de l’ensemble du mouvement ouvrier
russe, de sa mission historique, du but final du socialisme,
et c’est pourquoi le journal dont les ouvriers moyens forment
le gros des lecteurs doit absolument rattacher à chaque ques
tion locale et étroite le socialisme et la lutte politique.

Enfin, après la couche moyenne, vient la masse des
couches inférieures du prolétariat. Il est très possible que
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