Volume 04 pages 282-283
Donc, la classe ouvrière russe a d’ores et déjà formé et pro
mu d’elle-même les éléments nécessaires à la création d’un
parti ouvrier politique indépendant. Mais, du fait que les
couches avancées des ouvriers sont politiquement conscien
tes, les rédacteurs de la Rabotchaïa Mysl tirent cette conclu
sion... qu’il faut faire rétrograder ces ouvriers avancés,
pour piétiner sur place ! « Quelle lutte est-il souhaitable
de voir mener par les ouvriers?» interroge R. M., et il ré
pond : celle qui est possible, et la lutte possible est celle
que les ouvriers «mènent» «à l’heure présente»!!! Il se
rait difficile d’exprimer plus nettement l’opportunisme ab
surde et sans principes dont sont contaminés les rédacteurs
de la Rabotchdia Mysl, engoués qu’ils sont pour la « bern
steiniade » à la mode ! Est souhaitable ce qui est possible,
et est possible ce qui existe à l’heure présente ! C’est exacte
ment comme si l’on répondait à un homme s’apprêtant à
partir pour un long et dilficile voyage où l’attendent une
multitude d’obstacles et une foule d’ennemis, et demandant
où aller : il est souhaitable d’aller là où c’est possible, et
il est possible d’aller là où l’on se rend à l’heure présente !
C’est là du nihilisme pur et simple, pas révolutionnaire
mais opportuniste, qui est le fait soit d’anarchistes, soit
de libéraux bourgeois ! En « appelant » les ouvriers russes
à la lutte « partielle » et « politique » (et par la lutte poli
tique il entend, non pas la lutte contre l’autocratie, mais
seulement « la lutte pour améliorer la situation do tous les
ouvriers »), R. M. invite expressément le mouvement ou
vrier russe et la social-démocratie russe à faire un pas en ar
rière ; il invite en somme les ouvriers à se séparer des so
cial-démocrates et à jeter ainsi par-dessus bord tout l’ac
quis de l’expérience européenne et russe ! S’il s’agit de lut
ter pour améliorer leur situation, sans dépasser le cadre de
cette lutte, les ouvriers n’ont nul besoin des socialistes. Il
se trouvera dans tous les pays des ouvriers qui luttent pour
améliorer leur situation, ignorant tout du socialisme, ou
même en lui étant hostiles.
« Pour conclure, écrit R. M., quelques mots sur notre
conception du socialisme ouvrier.» Après ce qui vient
d’être dit, le lecteur n’aura plus de peine à s’imaginer quelle
peut être cette « conception ». C’est tout simplement une
copie du livre « à la mode » de Bernstein. A la lutte de
classe du prolétariat, nos « jeunes » social-démocrates subs
tituent «l’initiative sociale et politique des ouvriers».
Si nous nous rappelons la façon dont R. M. entend la « lut
te » sociale et la « politique », il apparaîtra clairement que
c’est un retour pur et simple à la « formule » de certains
auteurs légaux russes. Au lieu de marquer clairement le but
(et l’essence) du socialisme : le passage de la terre, des
fabriques et, en général, de tous les moyens de production
à la société et le remplacement de la production capitaliste
par une production effectuée selon un plan d’ensemble dans
l’intérêt de tous les membres de la société, — au lieu de
cela, R. M. souligne d’abord le développement des associa
tions corporatives et des coopératives de consommation et
se borne à indiquer en passant que le socialisme conduit à
la socialisation de tous les moyens de production. Par con
tre, il imprime en caractères très gras que « le socialisme
n’est que le développement continu, sur un plan supérieur,
de la société moderne », phrase empruntée à Bernstein, qui
n’éclaire nullement mais obscurcit, au contraire, le sens et
la portée du socialisme. Libéraux et bourgeois sont à coup
sûr pour « le développement de la société moderne », de
sorte qu’ils se réjouiront tous de la déclaration de
R. M. Néanmoins, les bourgeois sont les ennemis du
socialisme. C’est que, dans la « société moderne », il
existe beaucoup d’aspects divers, et parmi les gens qui
usent de cette expression générale, les uns songent à un as
pect, les autres à un autre. Par conséquent, au lieu d’éclai
rer les ouvriers sur la notion de lutte de classes et de so
cialisme, R. M. ne fait qu’énoncer des phrases nébuleuses
qui déroutent le lecteur. Enfin, au lieu d’indiquer le moyen
préconisé par le socialisme moderne pour réaliser le socia
lisme — la conquête du pouvoir politique par le proléta
riat organisé, —R. M. parle seulement du passage de la
production sous leur direction sociale (celle des ouvriers),
ou sous l’administration d’un pouvoir social démocratisé,
démocratisé « par leur participation active (des ouvriers)
aux services chargés d’examiner les affaires de toutes sor
tes concernant les fabriques et les usines, aux tribunaux
d’arbitrage, aux différentes assemblées, commissions et con
férences chargées d’élaborer la législation du travail, par
la participation des ouvriers à l’administration publique,