Volume 04 pages 280-281
vons que conseiller instamment aux rédacteurs de la Rabo
tchaïa Mysl de bien réfléchir pour savoir où ils veulent al
ler et où est leur vraie place : parmi les révolutionnaires qui
portent le drapeau de la révolution sociale parmi les clas
ses laborieuses qu’ils veulent organiser en un parti révolu
tionnaire politique, ou parmi les libéraux qui mènent leur
«lutte sociale» (c’est-à-dire l’opposition légale). Car la
théorie de l’« initiative sociale» des ouvriers, la théorie
de l’« entraide sociale » et des associations corporatives qui
se bornent « pour le moment » à la lutte pour la journée de
10 heures., la théorie de la « lutte sociale » des zemstvos, des
sociétés libérales, etc., contre l’autocratie, —cette théorie
n’a rigoureusement rien de socialiste, rien que les libéraux
ne puissent reprendre à leur compte ! Car enlin, le pro
gramme de la Rabotchaïa Mysl (si tant est qu’on puisse
parler ici de programme) tend à laisser les ouvriers russes
ignorants et dispersés, et à les mettre à la remorque des libé
raux !
Certaines phrases de R. M. sont particulièrement étran
ges. « Tout le mal, proclame R. A4., vient de ce que nos in
tellectuels révolutionnaires, implacablement persécutés par
la police politique, conlondent la lutte contre cette police
politique avec la lutte politique contre l’autocratie .» Quel
sens peut avoir cette déclaration ? Si la police politique est
appelée ainsi, c’est parce qu’elle persécute ceux qui sont
les ennemis de l’autocratie et qui la combattent. C’est pour
cette raison que la Rabotchaïa Mysl, tant qu’elle n’a pas en
core opéré sa métamorphose libérale, lutte elle aussi contre
la police politique, comme le lont tous les révolutionnai
res et socialistes russes et tous les ouvriers conscients. De ce
que la police politique persécute implacablement les socia
listes et les ouvriers, de ce que l’autocratie possède « une
organisation harmonieuse », « dos hommes d’Etat habiles
et diligents » (p. 7 de l’article de R. M. ), on ne saurait ti
rer que deux conclusions : le lâche et chétif libéral en dé
duira que notre peuple en général et les ouvriers en particu
lier ne sont pas encore suffisamment préparés à la. lutte,
et qu’il faut fonder tous nos espoirs sur la « lutte » des
zemstvos, do la presse libérale, etc., car c’est là la « véri
table lutte contre l’autocratie », et pas seulement une lutte
contre la police politique. Le socialiste et tout ouvrier cons-
cient en déduiront que le parti ouvrier doit lui aussi chercher
de toutes ses forces à créer une «organisation harmonieuse»,
à former, parmi les ouvriers avancés et les socialistes, des
« militants révolutionnaires habiles et diligents », capa
bles de porter le parti ouvrier au niveau d’un combattant
d’avant-garde pour la démocratie et de rassembler autour
de lui tous les éléments d’opposition.
Les rédacteurs de la Rabotchaïa Mysl ne se rendent pas
compte qu’ils se sont placés sur un plan incliné qui les pré
cipite vers la première conclusion !
Ou encore : « Ce qui nous frappe dans ces programmes »
(c’est-à-dire dans les .programmes des social-démocrates),
écrit R. M., « c’est qu’ils mettent toujours.au premier plan
les avantages de l’activité des ouvriers au Parlement (qui
n’existe pas chez nous), sans tenir aucun compte ... de
l’importance qui s’attache à la participation des ouvriers»
aux assemblées législatives des fabricants, aux services dont
relèvent les fabriques, à l’administration publique muni
cipale (p. 15). Si l’on ne met pas au premier plan les pré
rogatives du Parlement, où donc les ouvriers apprendront
ils à connaître les droits politiques et la liberté politique ?
Passer sous silence ces questions, comme le fait le journal
Rabotchaïa Mysl, n’est-ce pas maintenir dans leur état
d’ignorance politique les couches inférieures des ouvriers ?
Quant à la participation des ouvriers à l’administration
publique municipale, jamais aucun social-démocrate n’a
nié l’utilité et l’importance de la participation des ouvriers
socialistes aux municipalités ; mais il est ridicule d’en
parler en Russie, où le socialisme n’a aucune possibilité de
se manifester ouvertement, où l’engouement des ouvriers
pour l’administration municipale (si même elle était pos
sible) détournerait en fait les ouvriers avancés de la cause
ouvrière socialiste au profit du libéralisme.
«L’attitude des couches avancées des ouvriers, dit R. M.t
envers un tel gouvernement (autocratique) ... se conçoit
aussi bien que l’attitude des ouvriers à 1 ’égard des fabricants. »
Donc, si l’on obéit au sens commun, il s’ensuit que les cou
ches avancées des ouvriers sont des social-démocrates non
moins conscients que les socialistes issus des milieux intellec
tuels, aussi les efforts déployés par la Rabotchaïa Mysl poui
les séparer les uns des autres sont-ils ineptes et nuisibles.