Volume 04 pages 278-279
La manifestation la plus importante de l’opposition libérale
n’a revêtu que la forme de requêtes adressées par les libéraux
au gouvernement du tsar en vue d’obtenir une participa
tion du peuple à la direction des affaires publiques. Et
chaque fois les libéraux ont patiemment supporté les refus
catégoriques et brutaux opposés à leurs requêtes ; ils ont
supporté les persécutions barbares autant qu’illégales
dont le gouvernement de gendarmes récompense même
les tentatives légales d’exprimer son opinion. Faire passer
purement et simplement l’opposition libérale pour une
lutte sociale contre l’autocratie, c’est tout bonnement dé
naturer les faits, parce que les libéraux russes n’ont jamais
organisé de parti révolutionnaire en vue de lutter pour le
renversement de l’autocratie, bien qu’ils aient toujours
été et soient toujours en mesure de trouver à cet effet des
moyens matériels et des représentants à l’étranger du libé
ralisme russe. Or, non seulement R.M. présente la chose
sous un faux jour, mais il y mêle le nom du grand socialiste
russe N. Tchernychevski. « Dans cette lutte, écrit R.M.,
les ouvriers ont pour alliés toutes les couches avancées de
la société russe, qui font valoir leurs intérêts sociaux et
leurs institutions, qui comprennent clairement où est
leur avantage commun, « qui n’oublient jamais » (ici R.M.
cite Tchernychevski) toute « la différence que présente un
changement selon qu’il résulte d’une décision prise en
toute indépendance par le gouvernement ou d'une revendi
cation formelle de la société». Rapporter cette remarque
à tous les représentants de la « lutte sociale », telle que
l’entend R.M., c’est-à-dire à tous les libéraux russes, c’est
commettre une falsification pure et simple. Les libéraux
russes n’ont jamais présenté au gouvernement de revendi
cations formelles, et c’est pour cette raison que les libéraux
russes n’ont jamais joué et ne peuvent aucunement jouer
maintenant un rôle révolutionnaire indépendant. La classe
ouvrière et la social-démocratie ne peuvent avoir pour alliés
«toutes les couches avancées de la société», mais seule
ment les partis révolutionnaires fondés par les membres
de cette société. Quant aux libéraux, ils ne peuvent et ne
doivent être en général qu’une des sources de forces et moyens
supplémentaires pour le parti ouvrier révolutionnaire (com
me l’a dit d’ailleurs très clairement P. Axelrod dans la
brochure mentionnée plus haut). Et si N.Tchernychevski
a raillé implacablement les «couches avancées de la société
russe », c’est justement parce qu’elles ne comprenaient pas
la nécessité de présenter au gouvernement des revendica
tions formelles et regardaient, d’un œil indillérent. périr
sous les coups du gouvernement autocratique les révolution
naires issus de leur propre milieu. La manière dont R.M.
cite en l’occurrence Tchernychevski est aussi absurde que
le sont les bribes de citations du même auteur, entassées
au petit bonheur dans le second article du « Supplément
spécial » pour montrer que Tchernychevski n’était pas
un utopiste et que les social-démocrates russes n’auraient
pas apprécié à sa valeur le « grand socialiste russe ». Dans
son livre sur Tchernychevski (articles du recueil Le Social
Démocrate 105, édités en volume séparé, en allemand) Plékha
nov a pleinement reconnu le rôle de Tchernychevski et
précisé la position de ce dernier à l’égard de la doctrine
de Marx et d’Engels. Quant à la rédaction de la Rabotchaïa
Myslt elle s’est tout simplement montrée incapable de
porter une appréciation tant soit peu cohérente et complète
sur Tchernychevski, sur scs côtés forts et ses côtés faibles.
La « véritable question » qui se pose à la social-démocra
tie russe n’est nullement de savoir comment les libéraux
doivent mener la « lutte sociale » (par laquelle, on l’a vu,
R. M. entend l’opposition légale), mais comment organiser
un parti ouvrier révolutionnaire qui luttera pour le renver
sement de l’absolutisme et sera capable de s’appuyer sur
tous les éléments d’opposition en Russie, utiliser toutes
les manifestations d ’opposition pour sa lutte révolutionnaire.
Pour cela, il faut précisément un parti ouvrier révolution
naire, car seule la classe ouvrière peut, en Russie, lutter
résolument et d’une façon conséquente pour la démocratie ;
car, sans l’action énergique d’un tel parti, les éléments
libéraux « peuvent rester à l’état de force mollement inerte
et sommeillante » (P. Axelrod, brochure citée, p. 23). Lors
qu’il dit que nos « couches les plus avancées » mènent une
«lutte sociale effective (!!) contre l’autocratie» (p. 12 de
l’article de R. M.), et que « l’essentiel pour nous, c’est de
savoir comment nos ouvriers doivent mener celte lutte so
ciale contre l’autocratie», lorsqu’il dit cela, R. M. s’écarte
en fait complètement de la social-démocratie. Nous ne pou-