☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 254-255

correspondent-elles à toute la marche du développement ca
pitaliste ? Examinons ces questions de la plus haute im
portance pour un marxiste.

La première et la troisième revendication ne peuvent
guère susciter de divergences entre les social-démocrates
sur le fond de la question. La deuxième provoquera sans
doute des divergences également quant au fond. Les con
sidérations suivantes militent, selon nous, en sa faveur :
1) les indemnités de rachat étaient une spoliation pure et
simple des paysans par les grands propriétaires fonciers ;
on payait ces indemnités non seulement pour la terre pay
sanne, mais encore pour l’abolition du servage ; le gouver
nement a fait payer aux paysans plus qu’il n’a remis aux
grands propriétaires fonciers, c’est un fait ; 2) nous n’avons
pas de raison de tenir ce fait pour un événement entièrement
révolu et versé aux archives de l’histoire, car même les
nobles exploiteurs qui se lamentent maintenant sur les
«sacrifices» qu’ils auraient consentis alors n’envisagent
pas la réforme paysanne sous cet angle ; 3) c’est précisé
ment maintenant, alors que des millions de paysans souf
frent en permanence de la faim et que le gouvernement,
gaspillant des millions pour distribuer des cadeaux aux
grands propriétaires fonciers et aux capitalistes, pour
mener sa politique d’aventures à l’extérieur, marchande
sou par sou lorsqu’il s’agit des secours aux affamés, qu’il
est opportun et nécessaire de rappeler ce qu’a coûté au
peuple la politique du gouvernement autocratique qui est
au service des classes privilégiées ; 4) les social-démocrates
ne peuvent rester indifférents devant la famine qui frappe
la paysannerie et la voue à la mort. Il n’y a jamais eu de
divergences entre les social-démocrates russes quant à la
nécessité d’accorder une aide efficace aux affamés. Et il
ne se trouvera certainement personne pour affirmer qu’une
aide sérieuse soit possible sans des mesures révolutionnaires ;
5) l’expropriation des apanages et la mobilisation accrue
des terres de la noblesse, — c’est-à-dire ce qu’entraînerait
l’application de la revendication proposée, — ne seraient
que profitables à l’ensemble du développement social de
la Russie. Contre la revendication proposée, peut-être
nous objectera-t-on surtout qu’elle est « irréalisable ». Si
cette objection n’était appuyée que par des phrases contre

le « révolutionnarisme » et l’« utopisme », disons par avance
que ces phrases opportunistes ne nous effraieront nullement
et que nous n’y attacherons aucune importance. Mais si
elle est appuyée par l’analyse des conditions économi
ques et politiques de notre mouvement, nous reconnaî
trons pleinement la nécessité de discuter plus longuement
cette question et l’utilité d’une polémique à ce propos.

Notons seulement que cette revendication ne se présente
pas séparément, mais qu’elle fait partie de la revendi
cation appelant à soutenir la paysannerie dans la mesure
où elle est révolutionnaire. Quant à savoir comment et
avec quelle force se manifesteront ces éléments de la pay
sannerie, l’histoire en décidera. Si, par revendications
« réalisables », on entend non pas leur conformité générale
avec les intérêts du développement social, mais leur confor
mité avec une conjoncture économique et politique donnée,
un tel critère serait complètement faux, comme l’a montré
d’une façon convaincante Kautsky dans sa polémique con
tre Rosa Luxembourg qui invoquait le « caractère irréali
sable » (pour le parti ouvrier polonais) de la revendication
touchant l’indépendance de la Pologne. Kautsky a rappelé
en l’occurrence, à titre d’exemple (si la mémoire ne nous
fait pas défaut), la revendication du programme d’Er
furt relative à l’élection des fonctionnaires par le peuple.

Le « caractère réalisable » de cette exigence est plus que
douteux dans l’Allemagne contemporaine, mais aucun
social-démocrate n’a proposé de limiter les revendica
tions au cadre étroit de ce qui est possible à un moment
donné et dans des conditions données.

Ensuite, en ce qui concerne le 4e point, personne en
principe ne fera sans doute d’objection à la nécessité pour
les social-démocrates de réclamer l’abolition de tous les
vestiges du servage. Il ne s’agira certainement que de la
manière de formuler cette revendication, et aussi de son
ampleur, c’est-à-dire de la question de savoir s’il faut y
faire figurer, par exemple, les mesures tendant à suppri
mer la dépendance des paysans astreints en fait à la corvée,
en vertu de l’amputation des terres paysannes (otrezki)97
effectuée en 1861. A notre avis, on doit répondre à cette
question par l’affirmative. L’importance majeure de cette
survivance effective de l’économie basée sur la corvée