Volume 04 pages 250-251
(même leurs pauvres rudiments d’instruction ont commencé
à éveiller chez eux le sentiment de la dignité humaine),
contre l’arbitraire effréné de la bande de nobles loqueteux
qu’on a lancés contre les paysans sous la dénomination de
zemskié natchalniki93. On connaît les famines toujours
plus fréquentes dont sont victimes des millions d’hommes,
qui ne peuvent rester des témoins indifférents devant de
telles « difficultés de ravitaillement ». On connaît le dé
veloppement des sectes et de l’esprit rationaliste dans les
milieux paysans ; or, la protestation politique sous un
voile religieux est un phénomène propre à tous les peuples
à un certain stade de leur évolution, et non à la seule Russie.
Ainsi, l’existence d’éléments révolutionnaires au sein de
la paysannerie ne fait pas le moindre doute. Nous ne voulons
nullement exagérer la force de ces éléments, nous n’ou
blions pas l’inculture politique et l’ignorance des paysans,
nous ne voulons aucunement effacer la différence entre
«l’émeute russe, insensée et impitoyable», et la lutte ré
volutionnaire ; nous n’oublions pas le moins du monde
que le gouvernement dispose d’une quantité de moyens
pour tromper et corrompre politiquement les paysans. Mais
de tout cela il ressort uniquement qu’il serait absurde de
vouloir présenter la paysannerie comme le promoteur du
mouvement révolutionnaire, que le parti qui ferait dépendre
le caractère révolutionnaire de son mouvement de l’état
d’esprit révolutionnaire de la paysannerie serait insensé.
Il n’est nullement question de proposer quoi que ce soit
de semblable aux social-démocrates russes. Nous disons
seulement que le parti ouvrier ne saurait, sans déroger aux
préceptes fondamentaux du marxisme et sans commettre
une énorme faute politique, laisser de côté les éléments
révolutionnaires qui existent aussi dans la paysannerie, et
ne pas les soutenir. Ces éléments révolutionnaires de la
paysannerie russe sauront-ils se manifester au moins aussi
résolument que l’ont fait les paysans d’Europe occidentale
lors du renversement de l’absolutisme ? C’est là une question
à laquelle l’histoire n’a pas encore donné de réponse. S’ils
en sont incapables, la social-démocratie n’y perdra rien
qu’il s’agisse de sa bonne renommée ou de son mouvement,
car ce ne sera point de sa faute si la paysannerie ne répond
pas (n’aura peut-être pas été en mesure de répondre) à son
appel révolutionnaire. Le mouvement ouvrier suit et con
tinuera de suivre son chemin, quelles que soient les trahi
sons de la grande et de la petite bourgeoisie. S’ils en sont
capables, la social-démocratie qui n’aurait pas soutenu à
cette occasion la paysannerie perdrait pour toujours sa
bonne renommée et le droit de se considérer comme le
combattant d’avant-garde de la démocratie.
Quant à la première question posée plus haut, nous de
vons dire que la revendication d’une « révision radicale des
rapports agraires » ne nous paraît pas très claire : elle pou
vait suffire il y a quinze ans, mais on ne saurait guère s’en
contenter aujourd’hui, alors que nous devons à la fois don
ner des directives pour l’agitation et nous désolidariser des
défenseurs de la petite économie, si nombreux dans la so
ciété russe moderne et qui trouvent des partisans aussi
« influents » que messieurs Pobédonostsev, Witte et un bon
nombre do fonctionnaires du ministère de l’intérieur.
Nous nous permettrons de soumettre à l’attention des
camarades, dans la formulation approximative suivante,
la troisième section de la partie pratique de notre program
me :
« Le Parti ouvrier social-démocrate russe, donnant son
appui à tout mouvement révolutionnaire dirigé contre le
régime politique et social actuel, déclare qu’il soutiendra
la paysannerie dans la mesure où elle est capable de mener
la lutte révolutionnaire contre l’autocratie, en tant
que classe qui a le plus à souffrir de la servitude du
peuple russe et des vestiges du servage dans la société
russe.
Partant de ce principe, le Parti ouvrier social-démo
crate russe exige :
1° L’abolition des indemnités de rachat et des redevan
ces 94, ainsi que de toutes les charges qui pèsent actuelle
ment sur la paysannerie en tant que catégorie imposable.
2° La restitution au peuple des sommes extorquées aux
paysans par le gouvernement et les grands propriétaires fon
ciers sous formo d’indemnités de rachat.
3° L’abolition de la caution solidaire et de toutes les
lois empêchant le paysan de disposer de sa terre.
4° La suppression de tous les vestiges hérités du servage
qui placent les paysans sous la dépendance des grands pro-