Volume 04 pages 218-219
suadés qu’elle a seulement posé les pierres angulaires de
la science que les socialistes doivent faire progresser dans
toutes les directions s’ils ne veulent pas retarder sur la vie.
Nous pensons que les socialistes russes surtout doivent ab
solument développer par eux-mêmes la théorie de Marx,
car celle-ci n’indique que des principes directeurs généraux,
qui s’appliquent dans chaque cas particulier, à l’Angleterre
autrement qu’à la France, à la Franco autrement qu’à
l’Allemagne, à l’Allemagne autrement qu’à la Russie. Aussi
réserverons-nous volontiers une place dans notre journal
•aux articles traitant de questions théoriques et invitons
nous tous nos camarades à discuter ouvertement sur les
points litigieux.
Quelles sont donc les principales questions soulevées
par l’application à la Russie du programme commun à
tous les social-démocrates ? Nous avons déjà dit que l’es
sence de ce programme consiste à organiser et diriger la
lutte de classe du prolétariat, dont le but final est la con
quête du pouvoir politique par le prolétariat et l’organisa
tion d’une société socialiste. La lutte de classe du proléta
riat comporte l’action économique (contre certains capita
listes ou contre certains groupes do capitalistes pour l’amé
lioration du sort des ouvriers) et la lutte politique (contre
le gouvernement pour l’extension des droits du peuple,
c’est-à-dire pour la démocratie, et pour l’extension du pouvoir
politique du prolétariat). Certains social-démocrates russes
(parmi lesquels se rangent vraisemblablement ceux qui diri
gent la Rabotchaïa Mysl) estiment que l’action économique
est infiniment plus importante, et c’est tout juste s’ils ne
renvoient pas la lutte politique à un avenir plus ou moins
éloigné. Ce point de vue est absolument faux. Tous les so
cial-démocrates sont d’accord sur la nécessité d’organiser
l’action économique de la classe ouvrière, de mener une
agitation parmi les ouvriers sur ce terrain, c’est-à-dire
d’aider les ouvriers dans leur bataille quotidienne contre
les patrons, d’attirer leur attention sur toutes les formes et
tous les cas d’oppression et de leur faire comprendre ainsi
la nécessité de l’union. Mais oublier la lutte politique pour
la lutte économique serait s’écarter du principe essentiel
de la social-démocratie internationale et oublier ce que
nous apprend toute l’histoire du mouvement ouvrier. Les
défenseurs invétérés de la bourgeoisie et du gouvernement
à sa dévotion ont môme essayé plus d’une fois d’organiser
des syndicats ouvriers purement économiques et de détour
ner ainsi les ouvriers de la « politique», du socialisme. Il
est fort possible que le gouvernement russe réussisse lui
aussi à entreprendre quelque chose d’analogue, car il a
toujours cherché à jeter au peuple quelques misérables
aumônes ou, plus exactement, quelques semblants d’au
mônes, à seule lin de lui faire oublier qu’il est privé de droits
et opprimé. Il n’est pas de lutte économique qui puisse
apporter aux ouvriers une amélioration durable, qui puisse
même se dérouler sur une vaste échelle, si les ouvriers
n’ont pas le droit d’organiser librement des réunions, des
syndicats, d’avoir leurs journaux, d’envoyer leurs repré
sentants aux assemblées nationales, comme le font les ou
vriers d’Allemagne et de tous les autres pays d’Europe (à
l’exception de la Turquie et de la Russie). Or, pour con
quérir ces droits, il faut mener une lutte politique. En Rus
sie, non seulement les ouvriers, mais tous les citoyens sont
privés de droits politiques. La Russie est une monarchie
autocratique, absolue. Le tsar seul promulgue les lois, nom
me et contrôle les lonctionnaircs. De ce fait, il semble qu’en
Russie le tsar et le gouvernement tsariste ne dépendent
d’aucune classe et s’occupent tout autant des unes que des
autres. Mais en réalité, tous les fonctionnaires sont choisis
uniquement parmi la classe possédante, et tous sont soumis à
l’inllucnce des gros capitalistes qui mènent les ministres
par le bout du nez et obtiennent tout ce qu'ils veulent. La
classe ouvrière russe subit un double joug : elle est spoliée
et dépouillée par les capitalistes et les grands propriétaires
fonciers et, pour l’empêcher de se battre contre eux, la poli
ce la tient ligotée et bâillonnée et réprime toute tentative
de défendre les droits du peuple. A chaque grève contre un
capitaliste on lance sur les ouvriers la troupe et la police.
Toute lutte économique se transforme nécessairement en
une lutte politique, et la social-démocratie doit lier indisso
lublement 1’une et I’autre dans une lutte de classe unique du
prolétariat. Le but premier et principal doit en être la con
quête dos droits politiques, la conquête de la liberté poli
tique. Si les ouvriers de Pétersbourg à eux seuls, avec un
faible appui des socialistes, ont su obtenir rapidement des