☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 206-207

boulevardier célébrant le jubilé de la reine Victoria et trai
tant la statistique avec une légèreté nec plus ultra. On ne
connaît pas la source de ces renseignements qu’il est d’ail
leurs impossible d’obtenir à partir des données concernant
l’impôt sur le revenu en Angleterre, car celles-ci ne permet
tent pas de déterminer le nombre des contribuables et le
revenu global de chacun d’eux. Kautsky emprunte au livre
de Kolb des chiffres relatifs à l’impôt anglais sur le revenu
entre 1812 et 1847 et montre que, tout comme les données
tirées par Bernstein de son feuilleton, elles indiquent (soi
disant) une augmentation du nombre des possédants — et
cela pendant une période marquée par une terrible aggra
vation de la plus effroyable misère du peuple en Angle
terre ! Une analyse minutieuse des matériaux de Bernstein
amène Kautsky à conclure que celui-ci n’a cité aucun chif
fre démontrant réellement la multiplication du nombre
des possédants.

Bernstein essaie également de donner à sa thèse un fon
dement théorique: les capitalistes, dit-il, ne peuvent consom
mer eux-mêmes toute la plus-value dont la quantité s’ac
croît dans des proportions immenses ; partant, il y a éléva
tion du nombre des possédants qui la consomment. Kautsky
n’a pas grand mal à réfuter ce raisonnement grotesque qui
méconnaît complètement la théorie de la réalisation de Marx
(déjà exposée plus d’une fois dans la presse russe). Ce qui
est particulièrement intéressant, c’est que Kautsky ne le
réfute pas uniquement par des considérations théoriques,
mais aussi par des données concrètes qui attestent l’augmen
tation du luxe et du gaspillage dans les pays d’Europe occi
dentale, l’influence de la mode avec ses changements rapi
des qui accélèrent tellement ce processus, la recrudescence
du chômage, l’énorme hausse de la « consommation pro
ductive » de la plus-value, c’est-à-dire des investissements
dans de nouvelles entreprises, et notamment du capital
européen dans les chemins de fer et dans d’autres entre
prises de Russie, d’Asie et d’Afrique.

Bernstein déclare que la « théorie de la misère » ou « théo
rie de la paupérisation » de Marx est abandonnée de tout
le monde. Kautsky montre qu’il s’agit, là encore, d’une
exagération et d’une déformation imputables aux adver
saires de Marx, lequel n’a pas avancé de théorie de ce genre.

Marx a parlé de l’aggravation de la misère, de l’avilissement
etc., tout en soulignant la tendance opposée et les forces
sociales concrètes seules capables de lui donner naissance.

Les paroles de Marx sur l’aggravation de la misère sont
entièrement justifiées par la réalité : premièrement, on
constate eu effet que le capitalisme tend à engendrer et à
aggraver la misère, qui atteint d’énormes proportions quand
fait défaut la tendance opposée dont nous venons de parler.

Deuxièmement, la misère augmente, non pas au sens phy
sique, mais au sens social, c’est-à-dire en ce sens qu’il y a
disproportion entre le niveau croissant des besoins de la
bourgeoisie et de la société tout entière, et le niveau de
vie des masses laborieuses. Bernstein dit ironiquement, à
propos de cette conception de la « misère », que c’est là une
conception à la Pickwick. Kautsky lui répond en montrant
que des hommes comme Lassalle, Rodbertus, Engels ont
déclaré très nettement qu’il fallait comprendre la misère
non seulement au sens physique, mais encore au sens social.

Le club « Pickwick », réplique-t-il en douchant l’ironie de
Bernstein, rassemble, comme on le voit, une fort bonne so
ciété ! Enfin, troisièmement, les paroles sur l’aggravation
de la misère gardent toute leur exactitude en ce qui concer
ne les « régions frontières » du capitalisme, en comprenant
cette expression à la fois au sens géographique (les pays où
le capitalisme commence seulement à pénétrer, en provo
quant souvent non seulement la misère physique, mais en
core la lamine pure et simple des masses populaires) et au
sens politico-économique (l’industrie artisanale et, d’une
façon générale, les branches de l’économie nationale où
subsistent encore des moyens surannés de production).

Extrêmement intéressant aussi et particulièrement ins
tructif pour nous autres, Russes, est le chapitre sur la « nou
velle couche moyenne ». Si Bernstein avait simplement
voulu dire qu’à la place des petits producteurs qui dispa
raissent se forme une nouvelle couche moyenne, l’intel
liguentsia, il aurait eu raison, dit Kautsky, qui, depuis
plusieurs années déjà, a signalé lui-même l’importance de
ce phénomène. Dans tous les domaines du travail national
le capitalisme multiplie très rapidement le nombre des
employés, fait de plus en plus appel à 1’intelliguentsia. Cette
dernière occupe une position originale parmi les autres