Volume 04 pages 208-209
classes en touchant partiellement à la bourgeoisie par ses
relations, ses opinions, etc., et en partie aux travailleurs
salariés à mesure que le capitalisme réduit sans cesse davan
tage l’indépendance des intellectuels, en fait des salariés dé
pendants, menace d’abaisser leur niveau de vie. La situation
transitoire, instable, contradictoire, de cette couche so
ciale se reflète dans la très large diffusion en son sein de
ces conceptions hybrides et éclectiques, de ce méli-mélo de
principes et de points de vue opposés, de cette tendance à
s’élever en paroles dans des régions éthérées et à estomper
par de belles phrases les conflits qui mettent aux prises
des groupes historiques de la population, — que Marx a si
impitoyablement fustigés de ses sarcasmes il y a de cela un
demi-siècle.
Dans le chapitre sur la théorie des crises, Kautsky mon
tre que Marx n’a nullement avancé une « théorie » sur le
cycle décennal des crises industrielles, mais qu’il s’est bor
né à constater un fait. La modification de ce cycle au cours
des dernières années a été signalée par Engels lui-même.
On affirme que les cartels d’entrepreneurs sont capables
de prévenir les crises, en limitant et en régularisant la pro
duction.* Mais prenons l’Amérique, le pays des cartels:
en fait de restriction, nous y constatons un essor prodigieux
de la production. De plus, tout on limitant la production
pour le marché intérieur, les cartels l’élargissent pour le
marché extérieur, où ils vendent leurs marchandises à perte
tout en faisant payer aux consommateurs do leur propre
pays des prix de monopole. Avec le protectionnisme73, ce
système est inévitable, et il n’y a aucune raison d’escompter
la substitution de la liberté du commerce au protectionnisme.
En fermant les petites fabriques, en concentrant et en mono
polisant la production, en introduisant des perfectionne
ments, les cartels aggravent considérablement la situation
des producteurs. Bernstein pense que la spéculation, qui
engendre les crises, s’alfaiblit à mesure que les conditions
indéterminables du marché mondial deviennent détermi
nables et connues ; mais il oublie que ce sont précisément
les conditions « indéterminables » dos pays neufs qui don
nent une énorme impulsion à la spéculation dans les vieux
pays. Kautsky montre par des données statistiques le dévelop
pement de la spéculation précisément au cours de ces der-
nières années, et aussi la multiplication des indices annoncia
teurs d’une crise dans un avenir pas très éloigné.
Notons encore dans le livre de Kautsky une analyse
de la confusion dans laquelle s’empêtrent les gens qui ne
distinguent pas (comme le lait M. Prokopovitch dans l’ou
vrage cité) la puissance économique de certains groupes et
leurs organisations économiques ; notons-y aussi que Bern
stein érige en loi générale les conditions purement tempo
raires d’une situation historique donnée, la réfutation des
vues erronées de Bernstein sur l’essence de la démocratie,
l’explication d’une erreur do ce dernier en matière de sta
tistique, lorsqu’il compare le nombre des ouvriers d’industrie
en Allemagne à celui des électeurs, en oubliant ce détail que
tous les ouvriers de ce pays ne jouissent pas du droit de vote
(réservé aux hommes âgés do 25 ans au moins) et que tous
ne participent pas aux élections. Nous ne pouvons que re
commander instamment au lecteur qui s’intéresse à la si
gnification du livre de Bernstein et à la polémique engagée
autour de lui do recourir aux publications allemandes et de
n’accorder aucune confiance à ces comptes rendus partiaux
et unilatéraux des adeptes de l’éclectisme qui prédominent
dans la presse russe. Nous avons entendu dire qu’on en
visageait de traduire en russe une partie de l’ouvrage de
Kautsky. Ce serait très souhaitable, mais cela ne remplacera
pas le contact direct avec l’original.
Rédigé fin 1899 Conforme au manuscrit
Publié pour la première fois en 1928
dans le Recueil Lénine VII
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