Volume 04 pages 182-183
Le prolétariat doit s’efforcer de créer des partis ouvriers
politiques indépendants, dont le but essentiel doit être
la conquête du pouvoir politique par le prolétariat pour
organiser la société socialiste. Il ne doit nullement consi
dérer les autres classes et partis comme « une seule masse
réactionnaire»69 : au contraire, il doit participer à toute
la vie politique et sociale, appuyer les classes et les partis
de progrès contre les classes et les partis réactionnaires,
soutenir tout mouvement révolutionnaire contre le régime
actuel, se faire le défenseur de toute nationalité ou race
opprimée, de toute religion persécutée, des femmes privées
de droits, etc. Les raisonnements des auteurs du « credo » sur
ce thème témoignent uniquement du désir d’estomper le
caractère de classe de la lutte du prolétariat, d’allaiblir
cette lutte par une absurde « reconnaissance de la société »,
de rétrécir le marxisme révolutionnaire au point d’en faire
un courant réformiste banal. Nous sommes, convaincus
que l’immense majorité des social-démocrates russes repous
sera résolument cette altération des principes fondamen
taux de la social-démocratie. Les prémisses erronées des au
teurs du « credo » sur le mouvement ouvrier d'Europe occi
dentale les conduisent à des « conclusions pour la Russie »
encore plus erronées.
Affirmer que la classe ouvrière russe « ne s’est pas encore
fixé d’objectifs politiques », c’est tout simplement révéler
son ignorance du mouvement révolutionnaire russe. Déjà
l’« Union des ouvriers russes du Nord » 60, fondée en 1878,
et l’« Union des ouvriers de la Russie du Sud »°l, fondée
en 1875, avaient revendiqué dans leur programme la liberté
politique. Après la période réactionnaire des années 80,
la classe ouvrière a repris maintes fois la même revendica
tion dans les années 90. Affirmer que « les propos sur la
création d’un parti politique ouvrier indépendant ne sont
que l’effet de la transplantation sur notre sol d’objectifs
étrangers, de résultats étrangers », c’est tout simplement
faire preuve d’une incompréhension totale du rôle historique
de la classe ouvrière russe et des tâches urgentes de la social
démocratie russe. Le programme des auteurs du « credo »
tend évidemment à ce que la classe ouvrière, suivant la
« voie du moindre effort », se limite à la lutte économi
que, tandis que les «éléments de l’opposition libérale»
combattraient avec la « participation » des marxistes pour
des « formes juridiques ». La réalisation d’un tel programme
équivaudrait à un suicide politique de la social-démocratie
russe, à un freinage et un avilissement considérables du
mouvement ouvrier russe et du mouvement révolutionnaire
russe (ces deux notions se confondent à nos yeux). L’appa
rition d’un tel programme, à elle seule, montre combien
étaient fondées les craintes d’un des militants d’avant-garde
de la social-démocratie russe, P. Axelrod, lorsqu’il écrivait
ce qui suit à la fin de 1897, à propos de l’éventualité d’une
telle perspective :
« Le mouvement ouvrier ne dépasse pas le cadre étroit des col
lisions purement économiques entre ouvriers et entrepreneurs et, par
lui-même, pris dans son ensemble, il n’a pas de caractère politique ;
par contre, dans la lutte pour la liberté politique, les couches avan
cées du prolétariat suivent les cercles et fractions révolutionnaires
appartenant à ce qu’on appelle rintelligucntsia » (Axelrod. A pro
pos des tâches et de la tactique actuelles des social-démocrates russes. Ge
nève 1898, p. 19)
Les social-démocrates russes doivent déclarer une guer
re à outrance à tout l’ensemble d’idées exprimées dans le
« credo », car elles conduisent directement à la réalisation
de cette perspective. Les social-démocrates russes doivent
déployer tous leurs efforts en vue de réaliser une autre pers
pective, exposée par P. Axelrod en ces termes :
« Autre perspective : la social-démocratie organise le proléta
riat russe en un parti politique indépendant, luttant pour la liberté,
en partie aux côtés des fractions révolutionnaires bourgeoises (pour
autant qu’il s’en trouvera) et en alliance avec elles, en partie en atti
rant ouvertement dans ses rangs ou en entraînant à sa suite les éléments
intellectuels les plus attachés au peuple et les plus révolutionnaires »
(ibid., p. 20).
A l’époque même où P. Axelrod écrivait ces lignes, les
déclarations des social-démocrates de Russie montraient
clairement que l’immense majorité d’entre eux partageaient
ce point de vue. Il est vrai qu’un journal des ouvriers de
Pétersbourg, la Rabotchdia Mysl*2, sembla pencher vers les
idées des auteurs du « credo », en exprimant malheureuse
ment, dans un éditorial à caractère de programme (n° 1, oc
tobre 1897), cette thèse absolument erronée et contraire à
la doctrine social-démocrate que la « base économique du
mouvement » peut être « obscurcie par le désir constant