Volume 04 pages 154-155
vient faire là le capitalisme... ? demande M. Boulgakov.
La nécessité d’améliorer les races de bétail pourrait-elle
être supprimée par quelque organisation sociale supérieure ?»
Nous sommes à notre tour stupéfait que M. Boulgakov ait pu
ne pas comprendre la pensée tout à lait claire de Kautsky.
Les anciennes espèces végétales et animales créées par la
sélection naturelle sont peu à peu remplacées par des espè
ces plus « nobles », créées par la sélection artificielle. Les
plantes et les animaux deviennent plus délicats, plus exi
geants ; les épidémies, étant donné les moyens actuels de
communication, se propagent avec une rapidité foudroyante,
tandis que l’exploitation reste individuelle, éparpillée, sou
vent de faible envergure (exploitations paysannes) et prati
quée sans compétence ni ressources. Le capitalisme urbain
s’efforce de développer la technique agricole en la faisant
bénéficier de toutes les acquisitions de la science moderne,
mais il maintient dans son état lamentable la situation
sociale des producteurs ; il ne fait rien pour étendre à la
campagne, systématiquement et suivant un plan, la cul
ture de la ville. Aucune organisation sociale supérieure ne
supprimera la nécessité d’améliorer les races do bétail (Kaut
sky n’a évidemment jamais songé à proférer une absurdité
pareille), mais l’actuelle organisation sociale capitaliste
souffre d’autant plus de l’absence d’un contrôle social et
de la situation inférieure faite aux paysans et aux ouvriers
que la technique se développe davantage, que les races
d’animaux domestiques et de plantes cultivées deviennent
plus délicates *.
Kautsky aperçoit une dernière « difficulté » pour l’a
griculture marchande dans la « dépopulation des campagnes »,
dans l’absorption par les villes de la main-d’œuvre la plus
capable, des travailleurs les plus énergiques et les plus
intelligents. M. Boulgakov estime que, sous sa forme géné
rale, cette thèse est « de toutes manières inexacte », que
« le développement actuel de la population urbaine aux
dépens de la population rurale n’exprime pas du tout la loi
de l’évolution de l’agriculture capitaliste », mais le trans
♦ C’est pourquoi, dans la partie de son livre consacrée aux appli
cations, Kautsky préconise une inspection sanitaire du bétail et des
conditions dans lesquelles il est entretenu (S. 397).
fert outre-Océan, dans les colonies, de la population
agricole des pays industriels, exportateurs. Je pense que
M. Boulgakov fait erreur. La croissance de la population
urbaine (d’une façon plus générale : industrielle) aux
dépens de la population des campagnes n’est pas seulement
un phénomène temporaire, mais un phénomène généralisé,
qui exprime précisément une loi du capitalisme. Le fonde
ment théorique de cette loi consiste, comme je l’ai montré
ailleurs *, premièrement, en ceci que ]e progrès de la di
vision sociale du travail détache de l’agriculture primitive
des branches de plus en plus nombreuses de l’industrie **;
deuxièmement, en ceci que le capital variable nécessaire
à l’exploitation d’un terrain déterminé diminue dans l’en
semble (voir Das Kapital, 111,2, S. 177 ; traduction russe,
p. 52650. Cité par moi dans Le développement du capitalisme
en Russie, pp. 4 et 444 ***). Nous avons déjà fait remarquer
ci-dessus que, dans certains cas et pendant certaines pé
riodes, on observe une augmentation du capital variable
nécessaire à la mise en valeur d’un terrain déterminé, mais
cela n’affecte en rien la justesse de la loi générale. Que la
diminution relative do la population agricole ne se trans
forme pas dans tous les cas particuliers en une diminution
absolue, que le taux de celle-ci dépende aussi du dévelop
pement des colonies capitalistes, voilà ce que Kautsky
n’aurait évidemment guère songé à nier. Dans son livre, il
* Le développement du capitalisme en Russie, cbap. I, para
graphe 2 cl chap. VIH, paragraphe 2. (Voir V. Lénine, Œuvres, to
me 3.—N.R.)
♦♦ M. Boulgakov déclare, en signalant ce fait, que « la popula
tion agricole peut diminuer relativement (les italiques sont de lui)
même quand la situation de l’agriculture est florissante». Non seu
lement elle le « peut » mais elle le doit inévitablement dans la société
capitaliste... « La diminution relative (de la population agricole) dé
note seulement (sicl) ici l’essor de nouvelles branches du travail hu
main », conclut M. Boulgakov. Ce « seulement » est des plus étranges.
Les nouvelles branches de l’industrie, précisément, retirent à l’agri
culture «la main-d'œuvre la plus énergique et la plus capable».
Ainsi, cette considération toute simple suffit pour reconnaître la parfaite
justesse de la thèse de Kautsky : pour attester l’exactitude de cette
thèse générale (le capitalisme relire à l’agriculture la main
d’œuvre la plus énergique et la plus capable), une diminution relative
de la population rurale est tout à fait suffisante.
♦♦♦ Voir V. Lénine, Œuvres, tome 3. {N.R.)