Volume 04 pages 156-157
a mis pleinement en lumière cette progression des colonies
capitalistes qui inondent l’Europe de blé à bon marché.
(« Le même exode rural (Landflucht) qui dépeuple les cam
pagnes européennes amène constamment de nouvelles fou
les de robustes campagnards non seulement dans les villes
mais aussi dans les colonies »... S. 242.) L’accaparement
par l’industrie, aux dépens de l’agriculture, des travail
leurs les plus vigoureux, les plus énergiques et les plus in
telligents, est un phénomène général observé non seulement
dans les pays industriels, mais aussi dans les pays agrico
les, non seulement en Europe occidentale, mais aussi en
Amérique et en Russie. L’opposition engendrée par le ca
pitalisme entre la civilisation des villes et la barbarie des
campagnes aboutit inévitablement à ce résultat. M. Boul
gakov juge « évidente » la « considération » suivant laquelle
« la diminution de la population agricole accompagnée
d’un accroissement de la population totale est inconcevable
sans une forte importation de blé ». A mon avis, loin d’être
évidente, cette considération est tout simplement erronée.
On peut très bien concevoir une réduction de la population
agricole allant de pair avec un accroissement do la popula
tion totale (extension des villes) même sans importation
de blé (la productivité du travail agricole s’élève et permet
à un nombre moindre de travailleurs de fournir la même
quantité de produits qu’auparavant, voire une quantité
plus grande). On peut aussi concevoir une augmentation
de la population totale accompagnée d’une diminution de
la population agricole et d’une diminution (ou d’une aug
mentation non proportionnelle) de la quantité des produits
agricoles, — la chose est « concevable » par suite do l’ag
gravation des conditions de l’alimentation du peuple par le
capitalisme.
M. Boulgakov soutient que le développement des ex
ploitations paysannes moyennes en Allemagne de 1882 à
1895 — lait établi par Kautsky en connexion avec cet autre
fait que ces exploitations sont celles qui souffrent le moins
du manque de main-d’œuvre — « est de nature à ébranler
toute la construction ». Examinons de plus près les thèses
de Kautsky.
Selon les données de la statistique agricole, c’est la
surlace des exploitations de 5 à 20 hectares qui a le plus
augmenté de 1882 à 1895. En 1882, elle représentait 28,8%
de la superficie totale ; en 1895, 29,9%. Cet accroissement
des exploitations paysannes moyennes allait de pair avec
la diminution de la surlace des grandes exploitations pay
sannes (de 20 à 100 hectares ; 1882 : 31,1% ; 1895 : 30,3%).
« Ces chiffres, dit Kautsky, réjouissent le cœur de tous
les bons citoyens qui voient dans la paysannerie le plus
solide rempart du régime actuel. Elle ne bouge donc pas,
cette agriculture, s’écrient-ils avec enthousiasme, le dogme
marxiste ne saurait lui être appliqué. » On interprète le
développement des exploitations paysannes moyennes com
me le début d’une nouvelle ère de prospérité pour la pay
sannerie.
« Mais les racines de cette prospérité plongent dans
un marais », répond Kautsky à ces bons citoyens. « La pros
périté ne découle pas du bien-être de la paysannerie, mais
de V asservissement dont souffre toute l’agriculture» (230).
Kautsky vient de dire que « malgré tout le progrès techni
que, on observe dans certains endroits (les italiques sont de
Kautsky) — on ne peut en douter — un déclin de l’agri
culture » (228). Ce déclin conduit, par exemple, à une
renaissance do la féodalité, à des tentatives d’enchaîner
les travailleurs à la terre et de leur imposer certaines re
devances. Quoi de surprenant si, à partir de cet « asservis
sement », revivent des formes d’exploitation surannées ?
Quoi de surprenant si la paysannerie, qui se distingue géné
ralement de la main-d’œuvre de la grande production par
un niveau plus bas de ses besoins, par sa plus grande apti
tude à endurer la faim et à s’échiner au travail, résiste plus
longtemps en période de crise ? * «La crise agraire s’étend
* « Les petits agriculteurs, dit ailleurs Kautsky, résistent plus
longtemps dans une situation désespérée. On est pleinement fondé
à douter que ce soit là une supériorité de la petite production »
(S. 134).
Signalons à ce propos que les vues de Kautsky sont entièrement
confirmées par les données de Koenig qui décrit en détail dans son
livre {Die Lage der englischen Landwirtschaft, etc., Jena 1896, von
Dr F. Koenig) (Dr. F. Koenig: La situation de l'agriculture anglaise,
etc., léna 1896.—TV.7?.) l’état de l’agriculture anglaise dans quelques
comtés parmi les plus typiques. On trouve là une joule de renseigne
ments sur le travail excessif et la consommation insuffisante des pe
tits agriculteurs comparés aux ouvriers salariés, et aucune indication