☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 140-141

rie de la carence de la grande production, alors que Kaut
sky analyse les formes particulières de rapports économi
ques et sociaux créées par les intérêts do la grande pro
duction à un stade déterminé de son développement et
dans une conjoncture historique déterminée.

V
Passons au chapitre suivant dont nous avons cité le
titre. Kautsky y étudie d’abord la « tendance au morcelle
ment de la terre », et ensuite, les « formes des métiers
d’appoint du paysan ». Nous y trouvons donc la description
de tendances extrêmement importantes du capitalisme agri
cole, propres à l’immense majorité des pays capitalistes.

Le morcellement de la terre entraîne, écrit Kautsky, une
demande accrue de parcelles minuscules de la part des pe
tits paysans, qui paient la terre plus cher que les gros pro
priétaires. Ce dernier fait a été invoqué par certains au
teurs pour démontrer que la petite agriculture est supé
rieure à la grande. Kautsky leur réplique d’une façon très
pertinente en comparant le prix de la terre aux loyers :
on sait que les petits logements à bon marché reviennent
plus cher, si l’on calcule par unité de volume, que les grands
appartements d’un loyer élevé. Si les parcelles minuscules
coûtent plus cher, cela ne s’explique pas par la supériorité
de la petite agriculture, mais par la situation particuliè
rement dure du paysan. Les chiffres suivants montrent
l’énorme quantité d’exploitations naines engendrées par
le capitalisme : en Allemagne (1895), sur 5 500 000 en
treprises agricoles, 4 250 000, c’est-à-dire plus de 3/4,
ont une superficie de moins de 5 hectares (58% possèdent
moins de 2 hectares). En Belgique, 78% (709 500 sur
909 000) ont moins de 2 hectares. En Angleterre (1895),
118 000 sur 520 000 possèdent moins de 2 hectares. En
France (1892), on compte 2 200 000 (sur 5 700 000) d’une
superficie de moins d’un hectare et 4 000 000 de moins de
5 hectares. M. Boulgakov croit pouvoir réfuter la thèse de
Kautsky sur le caractère extrêmement irrationnel de ces
exploitations minuscules (manque de cheptel vif, de maté
riel, d’argent, de main-d’œuvre qui est détournée de la
culture par la recherche de gains d’appoint) en disant que

la terre est « très souvent » (??) travaillée à la bêche « avec
une incroyable intensité » encore que... « la dépense de
main-d’œuvre soit tout à fait irrationnelle». 11 va de soi
que cette objection est dénuée de tout fondement, et que
des exemples isolés d’excellente mise en valeur du sol
par le petit paysan sont tout aussi peu capables de réfuter
la caractéristique générale donnée par Kautsky pour ce
type d’exploitations que l’exemple cité plus haut de la
rentabilité supérieure d’une petite exploitation ne saurait
démentir la thèse de la supériorité de la grande production.

Que Kautsky ait pleinement raison de qualiiier dans
l'ensemble * ces exploitations de prolétariennes, c’est
ce qui ressort clairement du lait, mis en lumière par le re
censement allemand de 1895, qu’une foule de petites fer
mes ne se tire pas d’affaire sans des gains d’appoint. Sur
les 4 700 000 personnes qui sont des agriculteurs indépen
dants, 2 700 000, soit 57%, ont des gains d’appoint. Sur
3 200 000 exploitations de moins de 2 hectares, 400 000
seulement, c’est-à-dire 73%, n’ont pas de gains d’appoint !

Dans toute l’Allemagne, sur 5 500 000 exploitations
agricoles, 1 500 000 appartiennent à des ouvriers salariés
agricoles ou industriels (il faut y ajouter 704 000 apparte
nant à des artisans). Après cela, NI. Boulgakov prétend
que la théorie de la petite exploitation prolétarisée a été
« échafaudée » par Kautsky ! ** Les formes de prolétarisa
* Nous soulignons «dans l’ensemble », parce qu’on ne peut évi
demment pas nier que, dans certains cas, même ces exploitations qui
disposent d’une étendue de terre minime peuvent donner beaucoup
de produits et de revenus (vignobles, cultures maraîchères, etc.).

Mais que diriez-vous d’un économiste qui entreprendrait de réfuter
un argument invoquant le manque de chevaux parmi les paysans
russes en se référant, par exemple, aux maraîchers de la banlieue de
Moscou qui, même sans disposer d’un cheval, peuvent parfois organi
ser une exploitation rationnelle et rentable?

** Dans une note de la page 15, M. Boulgakov dit que Kautsky
répète l’erreur commise par les auteurs d’un livre sur les prix du blé47
lorsque ces derniers affirment que l’immense majorité de la popula
tion rurale n’a pas intérêt à l’etablissement de droits de douane sur
le blé. Encore une opinion avec laquelle nous ne pouvons pas être
d’accord. Ces auteurs ont commis de nombreuses erreurs (plus d’une
fois relevées par moi dans le livre cité ci-dessus), mais pas en recon
naissant que la majorité de la population n’a pas intérêt à maintenir
des prix élevés sur le blé. Ils ont seulement tort d’en déduire directe
ment que l’intérêt de la masse est aussi celui de tout le développement