☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 138-139

de Marx est inapplicable à l’agriculture. Il suffit de signaler
le travail à domicile au profit des capitalistes, il suilit de
rappeler la remarque faite déjà par Marx sur l’extrême
diversité des lormcs de transition et des formes hybri
des qui voilent la victoire du système des fabriques. Et
la situation est encore bien plus compliquée dans l’agri
culture ! La progression de la richesse et du luxe, par
exemple, fait que des millionnaires achètent d’immenses
domaines et en iont des chasses gardées pour leurs plaisirs.

En Autriche, dans la région de Salzbourg, la quantité des
bêtes à cornes diminue depuis 1869. La cause de cette
diminution est la vente des alpages à de riches amateurs
de chasse. Kautsky dit très justement que, si l’on consi
dère les données de la statistique agricole en gros et sans
esprit critique, rien n’est plus facile que de découvrir
une tendance du mode de production capitaliste à transfor
mer les peuples actuels en tribus do chasseurs !

Enfin, au nombre des conditions qui imposent des limi
tes à l’agriculture capitaliste, Kautsky signale également
le fait que, devant le manque de main-d’œuvre dû à 1 ’exode
rural, les grands propriétaires tendent à distribuer des
lots aux ouvriers agricoles, à créer une petite paysannerie
susceptible de leur fournir des travailleurs. L’ouvrier
agricole complètement dénué de torro est une rareté, parce
que l’économie rurale au sens strict du terme est liée à
l’économie domestique. Des catégories entières de salariés
agricoles possèdent de la terre ou en ont la jouissance.

Quand la petite production est trop fortement évincée,
les gros propriétaires s'efforcent de la consolider ou de la
faire renaître en vendant ou en donnant à bail de la terre.

« Dans tous les pays d’Europe, dit Sering cité par Kautsky,
on observe ces derniers temps un mouvement... pour séden
tariser les ouvriers agricoles en leur distribuant de la
terre. » Ainsi, dans le cadre du mode de production capi
taliste, on ne peut tabler sur une éviction complète de
la petite production agricole, car les capitalistes et les
agrariens eux-mêmes s’efforcent de la ressusciter quand
la ruine de la paysannerie est allée trop loin. Dès 1850,
Marx a signalé dans la Neue Rheinische Zeitung* ce mou
Nouvelle Gazette Rhénane. (N.R.)

vement cyclique de la concentration et du morcellement
de la terre dans la société capitaliste46.

M. Boulgakov estime que ces raisonnements de Kaut
sky « contiennent une part de vérité, mais encore plus
d’erreurs ». Comme tous les autres verdicts de M. Boulga
kov, celui-ci est étayé de raisons très faibles et très nébu
leuses. M. Boulgakov trouve que Kautsky « a échafaudé
une théorie de la petite production prolétarisée », et que
cette théorie est exacte dans un domaine très limité. Nous
sommes d’un avis différent. Le travail agricole salarié
des petits agriculteurs (ou, ce qui revient au même, le
type du valet de ferme ou du journalier pourvu d’un lot
de terre) est un phénomène qui caractérise, plus ou moins
profondément, tous les pays capitalistes. Aucun auteur
désireux de dépeindre le capitalisme dans l’agriculture
ne saurait, sans pécher contre la vérité, laisser ce phé
nomène dans l’ombre*. Que la petite production prolé
tarisée soit un fait généralisé en Allemagne, notamment,
c’est ce que Kautsky a établi en détail dans le chapitre
VIII de son livre : « La prolétarisation du paysan. » Lors
que M. Boulgakov indique que d’autres auteurs, dont
M. Kabloukov, ont eux aussi parlé du « manque de main
d’œuvre », il laisse dans Vombre l'essentiel : la différence
considérable do principe entre la théorie de M. Kabloukov
et celle de Kautsky. Le premier, en raison de son point
de vue de Kleinbürger**, «échafaude» sur le manque de
main-d’œuvre une théorie concluant à la carence de la
grande production et à la vitalité de la petite. Kautsky
caractérise les faits avec précision et indique leur véritable
signification dans l’actuelle société de classes : les in
térêts de classe des propriétaires fonciers les contrai
gnent à pourvoir de terre les ouvriers agricoles. La situation
de classe des salariés agricoles nantis d’un lot de terre
les situe entre la petite bourgeoisie et le prolétariat, mais
plus près de ce dernier. En d’autres termes : M. Kabloukov
érige un seul aspect d’un processus complexe en une théo
* Voir Le développement du capitalisme en Russie, chapitre II, § XII,
p. 120 (voir V. Lénine. Œuvres, tome 3. N.R.). On estime qu’en Fran
ce près de 75% des ouvriers agricoles possèdent de la terre. On trou
vera d’autres exemples dans cet ouvrage.

♦♦ Petit-bourgeois. (N.R.)