Volume 04 pages 136-137
les utiliser. Dans la statistique industrielle, nous avons
affaire à des indices exprimant directement les dimensions
de la production (quantité des marchandises, valeur totale
de la production, nombre d’ouvriers) et chaque branche
peut être facilement considérée à part. La statistique
agricole satisfait très rarement à ces conditions, indispen
sables pour assurer une démonstration probante.
Ensuite, le monopole de la propriété foncière impose
des limites au capitalisme agricole : dans l’industrie,
le capital s’accroît- par V accumulation, par la transforma
tion de la plus-value en capital ; la centralisation, c’est
à-dire la fusion de plusieurs petits capitaux en un gros
capital, joue un rôle moins important. Il n’en va pas de
même dans l’agriculture. Le sol est tout entier occupé
(dans les pays civilisés) et on ne peut agrandir une exploi
tation qu’en centralisant plusieurs parcelles, et ce de telle
façon qu’elles forment un terrain d'un seul tenant. On con
çoit qu’élargir un domaine par l’achat des parcelles at
tenantes soit chose très malaisée, surtout si l’on considère
que ces parcelles sont occupées en partie par des ouvriers
agricoles (indispensables au gros propriétaire), en partie
par de petits paysans qui excellent dans l’art do tenir en
réduisant indéfiniment leurs besoins dans des proportions
invraisemblables. La constatation do co lait simple et
clair comme le jour, qui trace des limites au capitalisme
agricole, a été interprétée par M. Boulgakov, on ne sait
pour quelle raison, comme du « bavardage » (??!!) et lui a
fourni un prétexte pour la jubilation la moins fondée qui
soit : « Ainsi donc (!), la supériorité de la grande produc
tion est mise en pièces (!) au premier obstacle. » M. Boul
gakov a commencé par mal comprendre la loi de la supério
rité de la grande production en lui attribuant un caractère
démesurément abstrait que Kautsky est bien loin de lui
conlérer, et à présent il lait de son incompréhension un
argument contre Kautsky ! Il est vraiment bien étrange
que M. Boulgakov s’imagine pouvoir réfuter Kautsky en
se référant à l’Irlande (grosse propriété foncière mais sans
grande production). Du lait que la grosse propriété est
une des conditions de la grande production, il ne s’ensuit
nullement qu’elle soit une condition suffisante. Kautsky
ne pouvait évidemment pas examiner les causes historiques
et autres des particularités de l’Irlande ou d’un autre
pays dans un ouvrage où il traite du capitalisme agricole
en général. Car enfin, personne ne se serait avisé d’exiger
de Marx, lorsqu’il analysait les lois générales du capitalisme
dans l’industrie, qu’il expliquât pourquoi en France la
petite industrie se maintient plus longtemps, pourquoi en
Italie l’industrie se développe lentement, etc. M. Boulgakov
est tout aussi peu fondé à affirmer que la concentration
« pourrait» progresser graduellement: arrondir son do
maine en achetant des parcelles appartenant aux voisins est
loin d’être aussi simple qu’ajouter de nouveaux bâtiments à
une fabrique pour augmenter le nombre des machines, etc.
En alléguant cette possibilité purement fictive d’une
concentration graduelle ou d’un affermage graduel en vue
de constituer de grandes exploitations, M. Boulgakov a
négligé une caractéristique réelle de l’agriculture en ce
qui concerne le processus de concentration, caractéristi
que signalée par Kautsky. Ce sont les latifundia, le ras
semblement de plusieurs domaines entre les mains d’une
même personne. La statistique n’enregistre d’habitude que
les domaines pris séparément et ne donne aucun renseigne
ment sur le processus de leur concentration entre les mains
de gros propriétaires fonciers. A propos de l’Allemagne
et de l’Autriche, Kautsky cite des exemples vraiment
frappants do cette concentration, qui engendre une forme
spécifique, supérieure, de la grande agriculture capitaliste,
où plusieurs vastes domaines sont groupés dans un seul en
semble économique, géré par un organisme central. Une
entreprise agricole géante de ce genre permet d’associer
les branches les plus diverses de l’agriculture et de pro
fiter au maximum des avantages de la grande production.
Le lecteur voit combien Kautsky est loin de l’abstrac
tion et des clichés dans sa façon de comprendre la « théorie
de Marx » à laquelle il reste fidèle. Mettant on garde con
tre une interprétation stéréotypée, Kautsky a même insé
ré dans le chapitre en question un paragraphe spécial sur
le déclin de la petite production dans l’industrie. Il si
gnale très justement .que, dans l’industrie aussi, la vic
toire de la grande production n’est pas du.tout aussi simple
et ne se produit pas sous des aspects aussi uniformes qu’ont
coutume de le croire les gens qui prétendent que la théorie