Volume 04 pages 134-135
raison du morcellement des grandes plantations du Sud
après l’affranchissement des Noirs ; dans les Etats du Sud,
la réduction a été de plus de moitié. « Aucune personne
compétente ne verra dans ces chiffres une victoire de la
petite production sur la grande production moderne » (ca
pitaliste). D’une façon générale, l’analyse par région des
statistiques américaines fait ressortir une grande diversité
de rapports. Dans les zones septentrionale et centrale, dans
les principaux « Etats à blé », la grandeur moyenne d’une
ferme est passée de 122 à 133 acres. « La petite production
ne prédomine que là où l’agriculture est en déclin, ou bien
là où la grande production précapitaliste entre en concur
rence avec la production paysanne » (135). Cette conclusion
de Kautsky est très importante, parce qu’elle montre les
conditions sans lesquelles l’emploi de la statistique ne peut
être qu'abusif : il est indispensable de distinguer la grande
production capitaliste de la grande production précapi
taliste. 11 est indispensable do détailler l’étude suivant
les régions qui diffèrent les unes des autres par des particu
larités essentielles concernant les formes de l’agriculture
et les conditions historiques de son développement. On
dit : « C’est prouvé par les chiffres » ! Mais il faut ana
lyser ce que prouvent au juste les chiffres. Ils prouvent
seulement ce qu'ils établissent directement. Les chiffres
n’établissent pas directement le volume do la production,
mais la surface des exploitations. Or, il est possible, et
il arrive en fait, «qu’un petit domaine dont l’exploita
tion est intensive puisse avoir une production supérieure
à celle d’un grand domaine dont l’exploitation est exten
sive ». « Une statistique qui ne nous renseigne que sur la
superficie cultivée ne permet absolument pas de savoir
si la diminution de cette dernière résulte d’une réduction
réelle des dimensions de l’exploitation ou d’une intensi
fication de la production » (146). Les coupes de forêts et
les pâturages, ces premières formes do la grande exploi
tation capitaliste, permettent aux domaines d’occuper
la plus grande surface. La culture exige une superficie
moindre. Les divers systèmes de culture diffèrent à leur
tour sous ce rapport : le système rapace et extensif d’ex
ploitation (qui a prévalu jusqu’à présent en Amérique)
admet des fermes immenses (jusqu’à 10 000 hectares, comme
les bonanza farms * de Dalrimple, de Glenn, etc. Dans nos
steppes aussi les emblavures des paysans, et à plus lorte
raison celles des marchands, atteignent des dimensions du
même ordre). L’emploi des engrais, etc., entraîne inévi
tablement une diminution de la surface des exploitations,
qui sont plus petites en Europe, par exemple, qu’en Améri
que. Le passage de la culture à l’élevage exige, lui aus
si, une réduction de la superficie : en Angleterre, en 1880,
la dimension moyenne des fermes d’élevage était d’en
viron 52,3 acres, et celle des fermes de culture, de pro
duction céréalière, de 74,2 acres. Aussi, ce passage, qui
s’accomplit actuellement en Angleterre, doit-il engen
drer une tendance à la diminution de la surface des entre
prises agricoles. « Mais ce serait juger très superficiel
lement que d’en conclure à un déclin de la production »
(149). Dans les territoires situés à l’est de l’Elbe (par
l’étude desquels M. Boulgakov espère, le temps aidant, ré
futer Kautsky), il se produit précisément un passage à
l’exploitation intensive ; les gros agriculteurs —dit Se
ring cité par Kautsky — augmentent la productivité de
leur sol en vendant ou en donnant à bail aux paysans les
parties périphériques do leur domaine, parce qu’avec une
exploitation intensive il est malaisé de mettre en valeur
ces terres éloignées. « Ainsi, les grands domaines situés
à l’est de l’Elbe perdent de leur étendue, en même temps
qu’il se crée à côté d’eux de petites exploitations pay
sannes, et cela, non parce que la petite production est
supérieure à la grande, mais parce que les dimensions anté
rieures des domaines étaient adaptées aux besoins de l’ex
ploitation extensive » (150). Dans tous ces cas, la dimi
nution d’étendue des exploitations entraîne habituellement
une augmentation (par unité de surface du sol) de la quan
tité des produits, et souvent un accroissement du nombre
des travailleurs occupés, c’est-à-dire en fait une augmenta
tion du volume do la production.
On comprend par là combien les données générales de
la statistique agricole sur la supei'ficie des exploitations
sont peu probantes, et avec quelle prudence il convient de
♦ Grandes exploitations capitalistes d’Amérique du Nord (sur
tout pour la production du blé), qui allient une économie extensive
à l’utilisation des machines les plus modernes. (N.R.).