Volume 04 pages 96-97
gle des faits isolés et citent des cas particuliers sans même
tenter de les relier au tableau d’ensemble du régime agraire
des pays capitalistes en général, et aux tendances fonda
mentales de l’évolution actuelle de l’agriculture capita
liste. Kautsky ne commet pas cette erreur courante. Etu
diant depuis plus de vingt ans la question du capitalisme
dans l’agriculture, il dispose de matériaux extrêmement
abondants ; notamment, Kautsky se réfère aux données
des derniers recensements et enquêtes agricoles en Angle
terre, en Amérique, eu France (1892) et en Allemagne (1895).
Mais jamais il ne s’égare dans l’amoncellement des laits,
jamais il ne perd de vue la connexion qui rattache le phé
nomène le plus minime à la structure générale de l’agri
culture capitaliste et à l’évolution générale du capitalisme.
Kautsky se pose non une question particulière, par exem
ple celle des rapports entre la grande et la petite production
agricole, mais le problème général de savoir si le capital
conquiert l’agriculture, s’il en modifie les formes de pro
duction et de propriété, et comment ce processus se déroule
exactement. Reconnaissant pleinement le rôle considérable
joué par les formes précapitalistes et non capitalistes de
l’agriculture dans la société actuelle et la nécessité d’élu
cider leurs corrélations avec les formes purement capitalis
tes, Kautsky commence par caractériser avec beaucoup
de précision et de clarté l’exploitation paysanne patriarcale
et l’agriculture de l’époque féodale. Ayant ainsi établi les
points de départ du développement du capitalisme dans
l’économie agricole, il en arrive à l’« agriculture contem
poraine ». Celle-ci est tout d’abord examinée sous son
aspect technique (assolements, division du travail, machi-
nés, engrais, bactériologie), et le lecteur voit se dessiner
un tableau frappant de la gigantesque révolution accomplie
en quelques dizaines d’années par le capitalisme qui a fait
une science d’un métier routinier. Ensuite vient l’étude du
«caractère capitaliste de l’agriculture moderne»: un ex
posé bref et populaire, mais parfaitement exact et remar
quablement bien présenté, de la théorie de Marx sur le pro
fit et la rente. Kautsky montre que le système du fermage
et celui des hypothèques ne sont que deux formes diffé
rentes d’un seul et même processus, signalé par Marx, de
démarcation entre ceux qui exploitent la terre et ceux qui
la possèdent. Puis il examine les rapports entre la grande
et la petite production, et constate que la supériorité techni
que de la première sur la seconde est indiscutable. Kautsky
démontre cette thèse d’une manière circonstanciée et établit,
avec lorce détails, que la petite production se maintient
non en vertu de qualités techniques rationnelles, mais
du fait que les petits paysans s’échinent davantage que les
ouvriers salariés et abaissent le niveau de leurs besoins au
dessous de celui de ces derniers. Les données citées à ce
propos sont extrêmement intéressantes et significatives au
plus haut point. L’analyse de la question des associations
agricoles l’amène à conclure qu’elles marquent un progrès
indubitable, mais qu’elles sont une transition vers le capi
talisme et non vers une production communautaire ; loin
de diminuer la supériorité de la grande production sur la
petite, ces associations l’accentuent. Il est absurde de croire
que les paysans pourraient, dans la société actuelle, passer
à la production communautaire. D’habitude, on se réfère
aux statistiques qui ne témoignent pas de l’évincement
de la petite exploitation agricole par la grande, mais indi
quent seulement que l’évolution du capitalisme est beau
coup plus complexe dans l’agriculture que dans l’industrie.
Même dans cette dernière, la tendance fondamentale du
développement subit souvent les interférences de phéno
mènes comme l’extension du travail capitaliste à domi
cile, etc. Dans l’agriculture, ce qui empêche la petite pro
duction d’être évincée, c’est avant tout l’exiguïté des
terrains ; l’achat de petites parcelles en vue de constituer
un grand domaine se heurte à de très nombreuses difficul
tés ; quand l’agriculture prend un caractère intensif, une
diminution de la surface cultivée est parfois compatible
avec une augmentation de la quantité des produits obtenus
(aussi la statistique, qui opère exclusivement sur les données
concernant les surfaces cultivées, est-elle pou probante).
La concentration de la production s’effectue par l’achat de
nombreux domaines réunis aux mains d’un seul proprié
taire, les latifundia ainsi constituées servent de base à l’une
des formes les plus élevées de la grande agriculture capita
liste. Enfin, la grande propriété foncière elle-même n’aurait
pas intérêt à éliminer complètement la petite : cette der
nière lui fournit de la main-d’œuvre 1 Aussi les propriétai
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