Volume 04 pages 98-99
res fonciers et les capitalistes font-ils souvent adopter des
lois qui soutiennent artiliciellement la petite paysannerie.
La petite agriculture se maintient quand elle cesse de con
currencer la grande, quand elle en devient la pourvoyeuse
en main-d’œuvre. Les rapports entre les gros et les petits
propriétaires fonciers se rapprochent de plus en plus des
rapports de capitalistes à prolétaires. Kautsky consacre
un chapitre spécial richement documenté au processus de
la « prolétarisation de la paysannerie », notamment à la
question des « métiers d’appoint » des paysans, c’ est-à-diro
des diverses formes du travail salarié.
Après avoir tracé dans ses grandes lignes l’évolution
du capitalisme dans l’agriculture, Kautsky entreprend
de démontrer le caractère historiquement transitoire de
ce système d’économie sociale. Plus se développe le capi
talisme, et plus sont grandes les difficultés auxquelles
se heurte l’agriculture commerciale (marchande). Le mono
pole de la propriété foncière (la rente foncière), le droit
d’héritage, les majorais41 font obstacle à la rationalisation
de l’économie agricole. Les villes exploitent de plus en plus
les campagnes, en enlevant aux agriculteurs leur meilleure
main-d’œuvre, en soutirant une part toujours plus grande
des richesses produites par la population rurale qui, par
suite, perd la possibilité de restituer au sol ce qu’il fournit.
Examinant en détail le dépeuplement des campagnes,
Kautsky admet parfaitement que ce sont les exploitations
des paysans moyens qui souffrent le moins du manque de
main-d’œuvre, mais il ajoute aussitôt que les « bons ci
toyens » (nous pouvons ajouter : et les populistes russes)
ont tort de se réjouir de cette situation, d’y voir le début
d’une renaissance de la paysannerie, et qui démentirait
l’application de la théorie de Marx à l’agriculture. Si la
paysannerie ressent moins que les autres classes agricoles le
manque d’ouvriers salariés, elle souffre par contre beaucoup
plus gravement de l’usure, des redevances accablantes, du
caractère irrationnel de son exploitation, de l’épuisement
du sol, du travail exténuant et de la sous-consommation.
Les vues des économistes petits-bourgeois enclins à l’opti
misme sont réfutées nettement par le lait que non seulement
les ouvriers agricoles, mais aussi les fils de paysans... fuient
la campagne pour la ville ! Mais ce qui a bouleversé de
fond en comble l’agriculture européenne, c’est la concur
rence du blé à bon marché importé d’Amérique, d’Argen
tine, d’Inde, de Russie, etc. Kautsky examine en détail
la signification de ce fait engendré par le développement
de l’industrie en quête de marchés. Il décrit la chute de la
production céréalière en Europe sous l’influence de cette
concurrence, la baisse de la rente, et insiste notamment sur
l’« industrialisation de l’agriculture» qui se traduit d’un
côté par le travail salarié des petits paysans dans l’indus
trie et, de l’autre, par le progrès des productions agricoles
techniques (distillation, raffinage du sucre, etc.), et même
par l’élimination de certaines branches agricoles au profit
de l’industrie de transformation. Les économistes opti
mistes, dit Kautsky, ont tort de penser que ces change
ments de l’agriculture européenne peuvent la sauver de la
crise : la crise gagne sans cesse en étendue et ne peut se
terminer que par une crise générale du capitalisme. Evidem
ment, cela ne donne nullement le droit de parler de la ruine
de l’agriculture, mais le caractère conservateur de cette
dernière a disparu à jamais : l’économie agricole se méta
morphose sans interruption, ce qui caractérise le mode de
production capitaliste en général. « Une partie considérable
des terres, écrit Kautsky, sert à la grande production agri
cole dont le caractère capitaliste se développe de plus en
plus ; l’augmentation des fermages et des hypothèques,
l’industrialisation de l’agriculture — tels sont les éléments
qui préparent le terrain à la socialisation de la production
agricole »... Il serait absurde de s’imaginer, dit Kautsky
dans sa conclusion, qu’une partie de la société se développe
dans une direction et une autre dans la direction opposée.
En réalité, « l’évolution sociale s’effectue dans l’agricul
ture dans le même sens que dans l’industrie ».
Appliquant les résultats de son analyse théorique aux
questions de la politique agraire, Kautsky se prononce,
-naturellement, contre toute tentative visant à soutenir et
à « sauver » l’exploitation paysanne. Il n’y a aucune raison
de croire, dit Kautsky, que la communauté rurale puisse
passer à la grande agriculture communautaire (p. 338,
paragraphe : « Der Dorfkommunismus »* ; voir p. 339).
* « Le communisme au village ». (N.R.)
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