Volume 04 pages 58-59
suite de la prolétarisation des masses populaires). M. Tou
gan-Baranovski n’ira certes pas contester que cette con
tradiction soit inhérente au capitalisme ; et puisque Marx
en fait mention dans ce même passage, nous n’avons aucun
droit de chercher un autre sens à ses paroles. « La capacité
de consommation de la société » et « les proportions res
pectives des diverses branches de production » ne sont
nullement des conditions isolées, indépendantes, sans liai
son réciproque. Au contraire, un état déterminé de la
consommation constitue l’un des éléments de la propor
tionnalité. En eflet, l’analyse de la réalisation a montré
que la formation d’un marché intérieur pour le capita
lisme se fait moins en fonction des biens de consommation
qu’en fonction des moyens de production. II s’ensuit que
la section I de la production sociale (fabrication des moyens
de production) peut et doit se développer plus vite que la
section II (fabrication des biens de consommation). Mais il
n’en résulte naturellement pas que la fabrication des
moyens de production puisse se développer d'une manière
absolument indépendante de celle des biens do consomma
tion et sans aucun lien avec elle. Marx dit à ce sujet : « Com
me nous l’avons vu (livre II, section III), une circulation
continuelle se fait entre le capital constant et le capital
constant ; cette circulation est d’abord indépendante
de la consommation individuelle dans la mesure où elle n’y
entre pas ; néanmoins, elle est définitivement limitée par
cette dernière parce que la production du capital constant
ne se fait jamais pour elle-même, mais uniquement parce
qu’on en utilise davantage dans les sphères de production
destinées à la consommation individuelle» (III, 1, 289.
Trad. russe, 24214). Ainsi, en dernière instance, la consom
mation productive (la consommation des moyens de produc
tion) est toujours liée à la consommation individuelle,
dont elle dépend toujours. Cependant, le capitalisme est
caractérisé, d’un côté, par la tendance à élargir à l’infini
la consommation productive, à élargir à l’infini l’accumu
lation et la production, et, de l’autre, par la prolétarisa
tion des masses populaires, ce qui impose des bornes assez
étroites à l’élargissement de la consommation individuel
le. Il est évident que nous avons affaire ici à une contra
diction de la production, capitaliste et Marx, dans le pas-
sage cité, no fait que le constater *. L’analyse de la réa
lisation dans le livre II ne récuse nullement cette con
tradiction (quoi qu’en pense M. Tougan-Baranovski), mais
montre au contraire le lien existant entre la consommation
productive et la consommation individuelle. Il va de soi
qu’on commettrait une erreur grossière en déduisant de
cette contradiction du capitalisme (ou de ses autres con
tradictions) que celui-ci est impossible ou qu’il n’a aucun
caractère progressif par rapport aux régimes économiques
précédents (comme se plaisent à le faire nos populistes).
Le développement du capitalisme ne peut se dérouler qu’à
travers une série de contradictions, et la mise en évi
dence de ces dernières ne fait que démontrer le caractère
historiquement transitoire du capitalisme, les conditions
et les causes de sa tendance à passer à une lorme supérieure.
Ce qui précède nous amène à conclure que la solution
du problème relatif au rôle du marché extérieur, exposée
par M. Tougan-Baranovski, est bel et bien empruntée à
Marx ; il n’y a aucune contradiction entre les livres II
et III du Capital au sujet de la réalisation (et de la théorie
des marchés).
Poursuivons. M. Boulgakov accuse M. Tougan-Baranov
ski d’avoir apprécié d’une manière inexacte les théories des
économistes antérieurs à Marx au sujet des marchés. A son
tour, M. Tougan-Baranovski accuse M. Boulgakov de
* Tel est exactement le sens d’un autre passage cité par M. Tou
§an-Baranovski (III, 1, 231-232 jusqu’à la fin du paragraphe15),
e même que l’observation suivante sur les crises : « La cause ultime
de toutes les crises effectives reste toujours la pauvreté et la limitation
de la consommation des masses, ce qui s’oppose à la tendance de la
production capitaliste à développer les forces productives comme si
la seule limite de leur développement était la capacité absolue de
consommation de la société. » (Das Kapital, III, 2, 21. Trad. russe,
p. 395.18) La remarque suivante de Marx a le même sens : « Contra
diction dans le mode de production capitaliste : les ouvriers, en tant
qu’acheteurs de marchandises, sont importants pour le marché. Mais,
à les considérer comme vendeurs de leur marchandise — la force
de travail — la société capitaliste tend à les réduire au minimum du
prix. » (Das Kapital. II, 30317.) Nous avons déjà parlé dans le jNovoîé
Slovo de mai 1897 (voir V. Lénine, Œuvres, tome 2, pp. 166-167.—N.R.)
de l’interprétation inexacte donnée par M. N.— on de ce passage.
Il n’y a aucune contradiction entre toutes ces citations et l’analyse
de la réalisation de là IIle section du livre II.