Volume 04 pages 60-61
détacher les conceptions de Marx de la base scientifique sur
laquelle elles ont grandi et de présenter les choses comme
si «les vues de Marx n’avaient aucun lien avec celles de
ses prédécesseurs». Ce dernier grief n’est absolument pas
fondé, car non seulement M. Boulgakov n’a pas émis une
opinion aussi absurde, mais il a au contraire exposé les
conceptions des représentants des différentes écoles anté
rieures à Marx. A notre avis, l’un et l’autre ont eu le tort,
dans l’historique des problèmes, d’accorder si peu d’at
tention à Adam Smith, sur qui il aurait fallu s’arrêter lon
guement, sans faute, quand on entreprend une analyse
spéciale de la « théorie des marchés » ; « sans faute », parce
que Adam Smith est justement le père de la doctrine er
ronée selon laquelle le produit social se décompose en ca
pital variable et plus-value (salaire, profit et rente, selon
la terminologie d’Adam Smith), doctrine qui s’est main
tenue obstinément jusqu’à Marx et qui ne permettait pas
non seulement de résoudre, mais même de poser correcte
ment le problème de la réalisation. M. Boulgakov a abso
lument raison de dire qu’« étant donné l’inexactitude des
points de départ et la formulation erronée du problème
lui-même, ces controverses » (qui se sont élevées au sujet
de la théorie des marchés dans les publications économi
ques) «ne pouvaient aboutir qu’à des débats stériles et
scolastiques» (note de la page 21, ouvrage cité). Or, l’au
teur n’a accordé en tout et pour tout qu’une petite page à
Adam Smith, négligeant l’analyse détaillée et brillante
de la théorie de cet économiste faite par Marx dans le cha
pitre 19 du livre II du Capital ( § II, pp. 353-383 18) et
s’arrêtant, par contre, aux doctrines d’auteurs sans origi
nalité et de second plan comme J. S. Mi 11 et von Kirch
mann. Quant à M. Tougan-Baranovski, il a coinplètement
laissé de côté A. Smith, et c’est pour cette raison que, dans
l’exposé des conceptions des économistes postérieurs, il
a perdu de vue leur erreur fondamentale (qui répète l’erreur
précitée de Smith). Que l’analyse, dans ces conditions,
n’ait pu être satisfaisante, cela s’entend. Bornons-nous à
deux exemples. Après avoir tracé son schéma n°l, qui ex
plique la reproduction simple, M. Tougan-Baranovski
déclare : « Mais le cas de reproduction simple que nous
avons supposé ne soulève aucun doute ; les capitalistes,
conformément à notre hypothèse, consomment tout leur
proiit ; il va donc de soi que l’ollre de marchandises ne
dépassera pas la demande » (Les crises industrielles,
p. 409). C’est inexact. Cela «n’allait» pas du tout «de soi»'
pour les économistes antérieurs, car ils ne savaient même
pas expliquer la simple reproduction du capital social :
du reste, c’est impossible si l’on ne comprend pas que le
produit social se divise, quant à sa valeur, en capital cons
tant 4- capital variable -f- plus-value et quant à sa forme
matérielle, en deux grandes sections : les moyens de pro
duction et les biens de consommation. C’est pourquoi
cette question a, elle aussi, soulevé chez Adam Smith des.
«doutes» dans lesquels, comme l’a montré Marx, il s’est
empêtré. Si les économistes suivants ont repris l’eneur
de Smith, sans partager ses doutes, cela prouve seulement
qu’ils ont fait en cette matière un pas en arrière au point
de vue théorique. M. Tougan-Baranovski énonce une af
firmation tout aussi inexacte lorsqu’il dit : « La théorie
de Say-Ricardo est absolument juste sur le plan théorique ;
si leurs adversaires s’étaient donné la peine de calculer,
en chiffres, la façon dont se répartissent les marchandises
dans l’économie capitaliste, ils comprendraient aisément
que la négation de cette théorie implique contradiction »
(onv. cité, p. 427). Non, la théorie de Say-Ricardo est
absolument fausse sous l’angle théorique: Ricardo a
fait sienne l’erreur de Smith (voir Œuvres, trad. Sieber,
Saint-Pétersbourg 1882, p. 221), et Say l’a aggravée encore
en affirmant que la distinction entre le produit global et
le produit net est entièrement subjective. Et Say-Ricardo
ainsi que leurs adversaires auront beau « jongler avec les
chiffres » aussi longtemps qu’il leur plaira, ils n’arrive
ront jamais à rien, car il ne s’agit nullement de chiffres en
l’occurrence, comme l’a déjà très justement fait remarquer
Boulgakov à propos d’un autre passage du livre de M. Tou
gan-Baranovski (Boulgakov, ouv. cité, p. 21, note).
Nous en arrivons maintenant à l’autre sujet de la dis
cussion qui oppose M. Boulgakov à M. Tougan-Baranov
ski : la question des schémas chiffrés et de leur significa
tion. Le premier affirme : « du fait qu’ils s’écartent de leur
modèle » (c’est-à-dire du schéma de Marx), les schémas de
M. Tougan-Baranovski « perdent pour une grande part