Volume 04 pages 54-55
NOTE SUR LA THEORIE DES MARCHES
(A PROPOS DE LA POLÉMIQUE ENTRE MM. TOUGAN-BARANOVSKI
ET BOULGAKOV)
La question des marchés dans la société capitaliste
a pris, comme on le sait, une place extrêmement importante
dans la doctrine des économistes populistes, avec à leur
tête MM. V.V. 10 et N.—on. Il est donc tout à fait naturel
que les économistes qui désapprouvent les théories popu
listes aient estimé nécessaire d’attirer l’attention sur
cette question et d’éclaircir, au premier chef, les points fonda
mentaux, les principes abstraits de la « théorie des marchés ».
C’est ce qu’essaya de faire en 1894 M. Tougan-Baranovski
dans Les crises industrielles dans l'Angleterre contempo
raine, au chapitre Ier de la 2e partie : « La théorie des
marchés .» L’année dernière, M. Boulgakov consacra à
cette question son livre Les marchés dans la production ca
pitaliste (Moscou 1897). Les deux auteurs se rejoignent
dans leurs conceptions essentielles ; les deux ouvrages
sont centrés sur une analyse de la « circulation et de la repro
duction de l’ensemble du capital social », laquelle reprend
le remarquable exposé de Marx dans la 3e section du livre II
du Capital. Les deux économistes s’accordent pour consi
dérer que les théories de MM. V. V. et N. — on sur le marché
(notamment le marché intérieur) dans la société capitaliste
sont absolument erronées et dues soit à l’ignorance soit
à l’incompréhension de l’analyse de Marx. L’un et l’autre
professent : au cours de son développement la production
capitaliste crée elle-même son marché, essentiellement
aux dépens des moyens de production et non des biens de
consommation ; la réalisation du produit en général, et
de la plus-value en particulier, est parfaitement expli
cable sans que l’on fasse intervenir le marché extérieur ;
la nécessité du marché extérieur pour un pays capitaliste
ne découle nullement des conditions de la réalisation (comme
le supposent MM. V.V. et N.—on), mais des conditions
historiques, etc. Etant aussi pleinement d’accord, MM. Boul
gakov et Tougan-Baranovski, semble-t-il, n’ont aucun mo
tif de querelle et peuvent conjuguer leurs efforts afin de
faire une critique plus fondamentale de l’économie populiste.
En fait, il s’est déclenché une polémique entre les deux auteurs
(Boulgakov, ouv. cité, pp. 246-257 et passim ; Tougan-Bara
novski dans le Mir Boji, n°6, 1898 : « Capitalisme et mar
ché », à propos du livre de S. Boulgakov). A notre avis,
M. Boulgakov comme M. Tougan-Baranovski sont allés
un peu trop loin dans leur polémique qui a pris un caractère
trop personnel. Essayons de voir s’il existe entre eux des
divergences réelles et, dans l’affirmative, qui des deux
a davantage raison.
Tout d’abord, M. Tougan-Baranovski accuse M. Boul
gakov d’être « peu original » et de trop aimer jurare in
verba magistri* (d7Zr Boji, p. 123). «La solution que j’ai
exposée quant au rôle que joue le marché extérieur
pour un pays capitaliste, solution que M. Boulgakov a
admise sans réserve, n’a nullement été empruntée à Marx »,
déclare M. Tougan-Baranovski. Il nous semble que cette
affirmation est inexacte, car M. Tougan-Baranovski a
pris cette solution justement chez Marx ; il ne fait aucun
doute non plus que M. Boulgakov a puisé à la même sour
ce, si bien que la discussion ne peut pas porter sur l’« ori
ginalité », mais sur l’interprétation de telle ou telle thèse
de Marx, sur la nécessité d’exposer Marx de telle ou telle
façon. M. Tougan-Baranovski dit que Marx, « dans son
livre II, n’aborde nullement la question du marché exté
rieur » (ouv. cité). C’est inexact. Dans la même section
(la 3e) du livre II où il analyse la réalisation du produit,
Marx explique nettement le rôle joué à cet égard par le
commerce extérieur et, de ce fait, par le marché extérieur.
Voici ce qu’il dit :
« La production capitaliste ne saurait exister sans
* Jurer par les paroles du maître. {N.R,)