Volume 04 pages 416-417
été frappé par des policiers. « Frappé au cours d’une rixe,
a été trouvé roué de coups », et le tour est joué. Môme dans
le cas présent, où le hasard a voulu que les coups entraînent
la mort (« Comment a-t-il trouvé moyen de mourir ! Un
gars d’attaque comme lui, qui aurait pu s’y attendre ? »),
l’accusation a été obligée de prouver par des dépositions
de témoins que « Vozdoukhov, avant d’être envoyé au poste,
était en parlaite santé. » Sans doute les assassins, qui ont
toujours nié l’avoir Irappé, assuraient-ils l’avoir trouvé
déjà roué de coups. Et trouver des témoins en pareil cas est
chose incroyablement dillicile. Il s’est trouvé que, par un
heureux hasard, une petite fenêtre donnant de la chambre
d’arrêt sur le corps de garde n’était pas entièrement condam
née : la vitre était bien remplacée par une plaque de fer-blanc
percée de quelques trous obturés par du cuir du côté du corps
de garde, mais en enfonçant le doigt on pouvait soulever
ce cuir et voir, de la chambre d’arrêt, ce qui se passait dans
le corps de garde. C’est uniquement grâce à ce détail qu’on
a pu reconstituer entièrement devant le tribunal la scène
de la «leçon». Mais un désordre tel qu’une fenêtre mal
aveuglée ne pouvait évidemment exister qu’au siècle der
nier : au XXe siècle, à coup sûr, la fenêtre do la chambre
d’arrêt du commissariat du Kremlin do Nijni-Novgorod
est hermétiquement close... Et, maintenant qu’il n’y a pas
de témoins, quiconque échouera au corps do garde n’a qu’à
bien se tenir !
Aucun pays au monde ne possède une telle abondance
de lois que la Russie. Chez nous, il y a des lois pour tout.
Il y a même un règlement spécial sur le régime de la déten
tion, où l’on explique en détail que la détention n’est
légale que dans des locaux spéciaux soumis à une surveil
lance spéciale. La loi, comme vous le voyez, est respectée :
il y a à la police une « chambre d’arrêt » spéciale. Mais,
auparavant, il est « d’usage » qu’on vous « pousse » dans
le « corps de garde ». Et quoique le rôle du corps de garde,
en tant que véritable chambre de torture, ressorte claire
ment de tous les laits du procès, le pouvoir judiciaire n’a
pas songé à porter son attention sur ce point. 11 ferait beau
voir que les procureurs dévoilent les scandales de notre
arbitraire policier et entreprennent de Je combattre !
Nous avons abordé la question des témoins dans ces
sortes d’affaires. Dans le meilleur des cas, cos témoins no
peuvent être que des gens qui sont entre les mains do la police ;
une personne extérieure n’aura que très exceptionnellement
L’occasion d’observer les « leçons » administrées dans les
commissariats par la police. Or, il est facile à la police
d’exercer une pression sur des témoins qui sont entre ses
mains. C’est ce qui est arrivé dans le cas qui nous intéresse.
Le témoin Frolov, qui était dans la chambre d’arrêt pen
dant le meurtre, a d’abord déclaré, au cours do l’enquête
préliminaire, que Vozdoukhov avait été battu par les po
liciers et par l’inspecteur ; ensuite il a mis hors de cause
l’inspecteur Panov ; devant le tribunal, enfin, il a déclaré
que personne de la police n’avait battu Vozdoukhov, que
Sémakhine et Barinov (d’autres détenus, qui furent les
principaux témoins de l’accusation) l’avaient incité à dé
poser contre la police, que la police ne l’avait aucunement
incité ni ne lui avait seriné la leçon. Les témoins Fadéïev
et Autonova déposèrent que personne du corps de garde n’a
vait touché du doigt Vozdoukhov : tous sont restés assis
tranquillement, paisiblement, et il n’y avait pas eu la
moindre dispute.
Comme vous le voyez, encore un fait des plus habituels.
Et les autorités judiciaires l’ont accueilli, une fois de plus,
avec leur indifférence accoutumée. Une loi punit assez sévè
rement le faux témoignage en justice. Des poursuites enga
gées contre ces deux faux témoins auraient répandu plus
de lumière encore sur les abominations de la police, abomi
nations contre lesquelles sont presque absolument sans dé
fense ceux qui ont le malheur de tomber entre ses griffes
(et ce malheur arrive régulièrement et constamment à des
centaines de milliers de « simples » gens) ; mais le tribunal
ne pense qu’à appliquer l’article tant, et non à suppléer
à cette absence de protection. Ce détail du procès, comme tous
les autres d’ailleurs, met clairement en évidence ce filet
infiniment vaste et solide, cet ulcère invétéré, dont on ne
peut se délivrer sans se débarrasser de tout ce système d'ar
bitraire illimité de la police et d’absence complète de
droits pour le peuple.
Il y a trente-cinq ans environ, le célèbre écrivain russe
F. Réchetnikov fut victime d’une regrettable mésaventure.
A Saint-Pétersbourg, il se rendit à la Maison de la Noblesse,
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