Volume 04 pages 390-391
d’une meute d’entrepreneurs, d’ingénieurs et d’officiers
dont le comportement a réussi à faire se rebeller les Chinois,
pourtant connus pour leur docilité. Sur les chantiers de
construction du chemin de fer chinois, les ouvriers chinois
recevaient 10 copecks par jour pour leur entretien : n’est
ce pas là encore du désintéressement de la part de la Russie?
Mais comment expliquer que notre gouvernement mène
en Chine cette politique insensée ? A qui profite-t-elle ?
Elle profite à une poignée de gros capitalistes qui font du
commerce avec la Chine, à une poignée de fabricants qui
produisent des marchandises destinées au marché asiatique,
à une poignée de soumissionnaires qui gagnent à présent
un argent fou sur les commandes de guerre urgentes (certai
nes usines fabriquant du matériel de guerre, des munitions
pour l’armée, etc., travaillent maintenant à plein et em
bauchent des centaines de nouveaux ouvriers à la journée).
Cette politique profite à une poignée de nobles occupant de
hauts postes civils et militaires. Ils ont besoin d’une poli
tique d’aventures parce qu’on peut y gagner des laveurs,
y faire carrière, s’y illustrer par des « exploits ». Et notre
gouvernement sacrifie sans hésiter les intérêts du peuple
tout entier à ceux de cette poignée de capitalistes et de fri
pouilles de la haute administration. Dans ce cas comme dans
les autres, il apparaît comme un gouvernement de fonction
naires irresponsables, à plat ventre devant les gros capita
listes et les nobles.
Quel profit la classe ouvrière et toute la population la
borieuse de Russie retireront-elles des conquêtes faites en
Chine ? Des milliers de familles ruinées dont les soutiens
ont été envoyés à la guerre, un énorme accroissement des
dettes et des dépenses de l’Etat, l’augmentation des impôts,
le renforcement du pouvoir des capitalistes, exploiteurs des
ouvriers, le sort des ouvriers qui va empirant, le dépérisse
ment accéléré de la paysannerie, la famine en Sibérie, voi
là ce que promet d’apporter et ce qu’apporte déjà la guer
re de Chine. Toute la presse russe, tous les journaux et tou
tes les revues sont asservis ; ils n’osent rien imprimer sans
l’autorisation des fonctionnaires du gouvernement, et c’est
pourquoi nous ne possédons aucune donnée précise sur ce
que la guerre de Chine coûte au peuple, mais elle engloutit
certainement des centaines de millions de roubles. D’après
certains renseignements, le gouvernement a donné d’un seul
coup pour la guerre, par un décret non publié, 150 millions
de roubles ; en outre, les dépenses courantes pour la guerre
engloutissent un million de roubles tous les trois ou quatre
jours. Et ces sommes toiles sont gaspillées par un gouverne
ment qui rogne sans cesse les allocations aux paysans aila
més, qui marchande chaque copeck, qui ne trouve pas
d’argent pour l’instruction publique, qui, comme le premier
koulak venu, lait suer sang et eau aux ouvriers des usines de
l’Etat, aux petits employés des postes, etc. !
Le ministre des Finances Witte a déclaré qu’au 1er janvier
1900, le Trésor disposait d’une encaisse de 250 millions de
roubles : actuellement, cet argent n’existe plus, il a été
dépensé pour la guerre ; le gouvernement cherche à em
prunter, augmente les impôts, renonce faute d’argent aux
dépenses nécessaires, arrête la construction des voies ler
• rées. Le gouvernement tsariste est menacé de banqueroute,
et il se lance dans une politique de conquêtes, une politi
que qui non seulement exige d’énormes ressources financiè
res, mais risque de l’entraîner dans des guerres plus dange
reuses encore. Les puissances européennes qui se sont abat
tues sur la Chine commencent déjà à se disputer pour le par
tage du butin et personne ne saurait dire comment ces dis
putes se termineront.
Mais la politique du gouvernement tsariste en Chine
n’est pas seulement une insulte aux intérêts du peuple,
elle vise à corrompre la conscience politique des masses po
pulaires. Les gouvernements qui ne s’appuient que sur la
force des baïonnettes et qui sont constamment obligés de
contenir ou de réprimer des soulèvements populaires ont
depuis longtemps compris cette vérité que rien ne saurait
venir à bout du mécontentement populaire ; il faut tâcher
de le détourner du gouvernement sur quelqu’un d’autre. C’est
ainsi qu’on attise, par exemple, la haine contre les juifs :
des journaux orduriers s’en prennent furieusement aux
juifs, comme si l’ouvrier juif ne souffrait pas tout autant
que l’ouvrier russe du joug que font peser le capital et le
gouvernement policier. Actuellement, la presse mène cam
pagne contre les Chinois et se répand en clameurs sur la
barbarie de la race jaune et sa haine de la civilisation, sur
la mission civilisatrice de la Russie, l’enthousiasme avec