☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 388-389

Notre gouvernement assure, en premier lieu, qu’il ne
fait pas du tout la guerre à la Chine : il ne fait que réprimer
un soulèvement, mater des rebelles, aider le gouvernement
légitime chinois à rétablir l’ordre légal. La guerre n’a pas
été déclarée, mais cela ne change rien au fond des choses,
puisqu’elle a quand même lieu. Qu’est-ce qui a suscité
l’attaque des Chinois contre les Européens, cette rébellion
réprimée avec tant de zèle par les Anglais, les Français, les
Allemands, les Russes, les Japonais, etc. ? C’est « l’ani
mosité de la race jaune contre la race blanche », « la haine
des Chinois contre la culture et la civilisation européennes »,
affirment les partisans de la guerre. En effet, les Chinois
haïssent les Européens, mais quels Européens haïssent-ils,
et pour quelles raisons ? Les Chinois ne haïssent pas les
peuples européens, — ils ne sont jamais entrés en conflit avec
eux, — mais les capitalistes européens et les gouvernements
européens aux ordres de ces derniers. Comment les Chinois
pourraient-ils ne pas haïr des gens qui ne sont venus en Chine
que par amour du lucre, qui ne se sont servis de leur civilisa
tion tant vantée que pour tromper, piller et exercer des vio
lences, qui ont fait la guerre à la Chine pour obtenir le
droit de vendre l’opium qui abrutit le peuple (la guerre de
1,’Angleterre et de la France contre la Chine en 1856), qui
ont hypocritement mené une politique de brigandage sous
le couvert de la propagation du christianisme ? Cette poli
tique de brigandage est pratiquée depuis longtemps à l’é
gard de la Chine par les gouvernements bourgeois d’Euro
pe ; maintenant ils ont à leurs côtés, le gouvernement au
tocratique russe. L’on a coutume de baptiser cette poli
tique de brigandage du nom de politique coloniale. Tout
pays qui possède une industrie capitaliste en plein dévelop
pement en arrive très vite à chercher des colonies, c’est-à
dire des pays où l’industrie est faiblement développée, qui
vivent sous un régime plus ou moins patriarcal, et où l’on
peut écouler des produits manufacturés et réaliser de coquets
bénéfices. Et, pour enrichir une poignée de capitalistes, les
gouvernements bourgeois ont entrepris des guerres intermi
nables, ont fait périr des régiments entiers dans des pays
tropicaux au climat insalubre, ont gaspillé par millions
l’argent soutiré au peuple, ont acculé les populations à des
révoltes désespérées ou à la mort par la famine. Rappelez-

vous le soulèvement des indigènes de l’Inde contre l’Angle
terre 137 et la lamine dans l’Inde ou bien la guerre actuelle
des Anglais contre les Boers139.

Et voilà que maintenant les griffes avides des capita
listes européens se tendent vers la Chine. Parmi eux, un
des tout premiers, le gouvernement russe, qui vante aujour
d’hui si fort son « désintéressement ». Au nom de ce « désin
téressement », il a enlevé Port-Arthur à la Chine et commen
à construire un chemin de fer en Mandchourie, sous la
protection des troupes russes. L’un après l’autre, les gou
vernements européens se sont mis avec tant de zèle à piller —
pardon, « à prendre à bail » — le sol chinois qu’on en est
venu, non sans raison, à parler d’un partage de la Chine.

Et, pour appeler les choses par leur nom, il faut dire que
les gouvernements européens (et parmi eux le gouvernement
russe l’un des tout premiers) ont déjà commencé ce partage.

Toutefois, ils ne s’y sont pas pris ouvertement, mais sour
noisement, comme des voleurs. Ils ont commencé à dépouil
ler la Chine comme on dépouille un cadavre, et quand ce
prétendu cadavre a essayé de résister, ils se sont jetés sur
lui comme des bêtes féroces, réduisant en cendres des vil
lages entiers, noyant dans le fleuve Amour, fusillant ou
perçant de leurs baïonnettes les habitants désarmés, leurs
femmes et leurs enfants. Et tous ces exploits chrétiens s’ac
compagnent de déclamations contre ces barbares de Chinois
qui osent lever la main sur des Européens civilisés. L’occu
pation de Niou-Tchouang et l’introduction de troupes rus
ses sur le territoire de la Mandchourie ne sont que des mesures
temporaires, déclare le gouvernement autocratique de Russie,
dans sa note circulaire aux puissances en date du 12 août
1900 ; ces mesures « sont suscitées uniquement par la néces
sité de repousser les agressions des rebelles chinois » ; elles
« ne sauraient en aucun cas témoigner de desseins intéressés,
qui sont absolument étrangers à la politique du gouverne
ment impérial ».

Pauvre gouvernement impérial ! Il est si chrétienne
ment désintéressé, et on l’offense si injustement! Il s’est
emparé d’une façon toute désintéressée de Port-Arthur,
il y a quelques années, et maintenant il s’empare
avec non moins de désintéressement de la Mandchourie,
il a infesté les régions chinoises limitrophes de la Russie