Page 355 · vol. 4
sion nous nous étions conduits en somme comme des es
claves ; or, être esclave est une chose indigne, et la blessure
que nous en ressentions était centuplée du fait que c’était
« lui », personnellement, qui nous avait ouvert les yeux
à nos dépens...
Nous allâmes enfin nous coucher, regagnant nos cham
bres, avec la lerme décision d’exprimer dès le lendemain
à Plékhanov notre indignation, de renoncer à la revue et
de partir en gardant seulement le journal, quittes à pu
blier en brochures les matériaux de la revue : la cause n’en
soullrirait pas, et nous serions dispensés d’avoir des rela
tions étroites avec « cet homme ».
Le lendemain, je m’éveille plus tôt que de coutume,
réveillé par un bruit de pas dans l’escalier et la voix d’Axel
rod, qui frappe a la porte d’Arséniev. J’entends Arséniev
répondre et ouvrir sa porte, je l’entends et je me demande
en moi-même : Arséniev aura-t-il le courage de tout lui
dire d’emblée ? Pourtant, ce serait mieux de le dire d’un
seul coup, il faut tout lâcher en bloc, sans faire traîner les
choses en longueur. M’étant débarbouillé et habillé, j’entre
chez Arséniev, qui est en train do faire sa toilette. Axelrod
est assis dans un fauteuil, les traits un peu tendus. «Voilà,
me dit Arséniev, j’ai dit à Axelrod noire décision de rentrer
en Russie, notre conviction qu’il est impossible de travail
ler de cette façon.» J’acquiesce sans réserve, évidemment,
et soutiens Arséniev. Nous racontons tout à Axelrod,
sans nous gêner, et cela au point qu’Arséniev dit même que
nous soupçonnons Plékhanov de nous prendre pour des
Streber. Dans l’ensemble, Axelrod sympathise à moitié avec
nous, hochant amèrement la tête et montrant une mine
défaite, une confusion et un trouble extrêmes, mais à ce
mot, il proteste énergiquement et crie que cela du moins
est faux, que Plékhanov a divers défauts, mais pas celui-là,
que pour Je coup ce n’est pas lui qui est injuste envers nous,
mais nous envers lui, que jusque-là il était prêt à dire à Plé
khanov : « Tu vois ce que tu as lait, débrouille-toi toi-même,
je m’en lave les mains », mais que maintenant il hésite,
parce qu’il voit chez nous aussi do l’injustice. Ses assuran
ces firent naturellement peu d’impression sur nous, et le
pauvre Axelrod eut bien piteuse mine en constatant notre
ferme décision.
23e