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Nous sortîmes ensemble et allâmes prévenir V. Zassou
litch. Il fallait s’attendre à ce qu’elle accueillît la nouvelle
de la « rupture » (car on allait tout droit vers une rupture)
avec une peine extrême. Je crains même, avait dit Arséniev
la veille, je crains très sérieusement qu’elle ne mette lin
à ses jours...
Je n’oublierai jamais les dispositions dans lesquelles
nous sortîmes tous trois : « on dirait que nous suivons
un enterrement », pensai-je à part moi. En effet, nous
marchions comme à un enterrement, silencieux, les yeux
baissés, abattus au dernier degré par la stupidité, le saugre
nu, l’absurdité de la perte- que nous venions de subir.
Une malédiction, en vérité ! Tout allait pour le mieux,
après de si longs déboires, après tant d’échecs, et voilà
qu’un ouragan était survenu pour taire tout crouler, une
fois de plus. J’avais tout bonnement peine à le croire (exacte
ment comme on se refuse à en croire ses esprits quand on
est sous l’impression récente de la mort d'un être cher):
est-ce bien moi, ardent admirateur de Plékhanov, qui parle
maintenant de lui avec tant de haine et qui vais, les lèvres
serrées et une froideur diabolique dans l’âme, lui dire des
paroles froides et cassantes, lui annoncer ou à peu près la
«rupture des relations» ? Est-ce bien la réalité et non un
mauvais rêve ?
Cette impression ne s’atténua pas durant notre entre
tien avec Zassoulitch. Celle-ci ne manifesta pas une émotion
trop violente, mais on la voyait terriblement abattue, elle
nous priait, nous suppliait presque de renoncer malgré tout
à notre dessein, d’essayer : peut-être n’était-ce pas si ter
rible, à l’expérience les choses se tasseraient, on remarquerait
moins les traits rebutants de son caractère... 11 était extrê
mement pénible d’écouter ces prières sincères d’une person
ne faible devant Plékhanov, mais absolument sincère et
passionnément dévouée à la cause, d’une personne qui por
tait avec un «héroïsme d’esclave» (le mot est d’Arséniev)
le joug de plékhanovisme. C’était si pénible que, par instants,
je crus vraiment que j’allais fondre en larmes... Lorsqu’on
suit un corbillard, c’est quand on commence à prononcer
des paroles de condoléance, de désespoir, qu’on risque le
plus de fondre en larmes...
Nous avons quitté Axelrod et Zassoulitch. Nous sommes