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plus sévères, les plus absurdement sévères. On ne saurait
jamais entendre des juges fonctionnaires une justice abso
lue : nous avons déjà dit que ces juges appartiennent à la
classe bourgeoise et qu’ils sont disposés par avance à croire
tout ce que dit le patron et à ne pas taire confiance à l’ou
vrier. Le juge consulte le code : contrat d’embauchage indi
viduel (une personne s’engage, moyennant salaire, à taire
telle chose pour une autre ou à la servir). Qu’il s’agisse
d’un ingénieur, d’un médecin, d’un directeur d’usine
qui s’embauche chez un fabricant, ou bien d’un manœuvre,
peu importe au juge ; il pense (à cause de son âme paperas
sière et de sa stupidité bourgeoise) que le manœuvre doit
connaître ses droits et savoir taire établir les stipulations
du contrat tout aussi bien que le directeur, le médecin et
l’ingénieur. Alors que les conseils de prud’hommes com
prennent des juges (une moitié) élus par les ouvriers, qui
savent tort bien qu’un ouvrier novice ou un jeune ouvrier
se sent souvent dans l’usine ou au bureau comme au tond
d’un bois et est loin de penser qu’il conclut un « contrat
libre » et qu’il peut y « taire stipuler » toutes les clauses
qui lui paraissent souhaitables. Prenons, à titre d’exem
ple, le cas suivant : un ouvrier veut se plaindre d’une
mise au rebut injustifiée de son travail ou d’une amende
imméritée. Inutile de songer à s’en plaindre au juge fonc
tionnaire ou à l’inspecteur de fabrique également fonction
naire. Un fonctionnaire s’en tiendra à la règle : la loi con
fère au patron le droit d’infliger des amendes aux ouvriers
et de mettre au rebut un travail mal exécuté, et
c’est, donc, au patron à décider si le travail est mal
fait et si l’ouvrier a commis une faute. Voilà pourquoi
les ouvriers adressent si rarement aux tribunaux des plain
tes de ce genre : ils supportent les abus, les tolèrent, et
finissent par se mettre en grève lorsqu’ils sont à bout de
patience. Mais s’il y avait parmi les juges des représentants
mandatés par les ouvriers, ces derniers auraient infiniment
moins de peine à taire triompher la justice et à trouver pro
tection dans ces affaires comme dans les plus petites contes
tations et injustices qui se produisent à l’usine. Car il taut
être un magistrat cossu pour s’imaginer qu’il ne vaut
pas la peine de s’arrêter à ces menus détails (par exem
ple, de l’eau bouillante pour le thé, ou l’obligation de