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continuer tranquillement leur travail sans trop s’exposer
aux chicanes et aux injustices patronales. Et puis, pour
trancher des dillérends entre patrons et ouvriers, il iaut bien
connaître, par sa propre expérience, la vie en usine. Le
juge ionctionnaire jette un coup d’œil sur le livret de tra
vail de l’ouvrier, lit le règlement, et ne veut rien entendre
de plus : le règlement a été violé, dit-il, tant pis pour toi,
tu en répondras, le reste ne me regarde pas. Tandis que les
juges élus parmi les patrons et les ouvriers ne regardent pas
seulement les paperasses, mais aussi la laçon dont les choses
se passent en réalité. Car parlois la règle reste la règle sur
le papier, alors que dans la pratique il en va tout autre
ment. Même s’il le voulait, et quand bien môme il examine
rait l’allaire avec toute l’attention voulue, le juge fonction
naire ne peut souvent pas comprendre de quoi il retourne,
car il ignore les us et coutumes, il ne sait pas comment
s’établit un tarif de salaires, il ignore par quels procédés les
contremaîtres briment souvent l’ouvrier sans violer les
règlements et les tarifs (on allecte, par exemple, l’ouvrier
à un autre travail, on lui fournit d’autres matières premiè
res que celles prévues, etc.). Les juges élus, qui travail
lent eux-mêmes ou qui gèrent eux-mêmes les affaires de la
fabrique, se retrouvent d’emblée dans toutes ces questions ;
ils comprennent aisément ce que désire au fond l’ouvrier ;
ils ne se soucient pas seulement de l’observation du règle
ment, mais cherchent à faire en sorte qu’on ne puisse pas
brimer l’ouvrier en tournant le règlement, et qu’il ne puisse
y avoir aucun prétexte à supercherie et à arbitraire. Ainsi,
les journaux ont annoncé dernièrement que des ouvriers
chapeliers avaient failli être condamnés pour vol à la suite
d’une plainte déposée par le patron : ils avaient utilisé
des chutes de bonnets de fourrure. Heureusement qu’il
se soit trouvé d’honnêtes avocats pour recueillir des rensei
gnements, pour prouver que c’était la coutume dans ce
corps de métier et que, loin d’être des voleurs, les ou
vriers n’avaient même contrevenu à aucun règlement. Mais
un ouvrier ordinaire, un simple ouvrier, qui touche un sa
laire dérisoire, ne pourra presque jamais se payer un bon
avocat, et c’est pourquoi, comme le savent tous les ou
vriers, les juges fonctionnaires prononcent bien souvent,
dans les allaites concernant les ouvriers, les sentences les